lundi 12 mars 2012

Une photo, quelques mots (31), Romuald


 

Sur proposition de Leiloona

 

 

06 mars 2012

Une photo, quelques mots (31)


©Kot - La galerie de Kot – 10 mars 2010 – Coin lecture

Il est tout juste 20 heures. Je me prépare à dîner, après une journée semblable à toutes les autres. Un coup de sonnette joyeux, des éclats de rire, Camille et Jérôme me font la bonne surprise de leur visite.
J’aime les voir toujours aussi amoureux. Je les invite à partager mon repas. Une belle soirée improvisée se prépare.
Mais avant tout, même avant de s’être débarrassés de leur manteau, ils me tendent une photo en me disant : « Regarde notre Romuald. Devine ce qu’il fait là perché ?»
Ils rient et se coupent la parole l’un l’autre, je n'arrive pas à suivre l’histoire qu’ils me racontent. Dans un dernier éclat de rire, ils m’expliquent qu’ils se sont lancé un défi, suivre Romuald toute une journée sans se faire remarquer. En effet, depuis quelques jours, ils le trouvent bizarre, de chez bizarre, comme ils me disent. Romuald leur cacherait-il une amoureuse ?
Romuald a du mal à ouvrir son cœur et à parler de lui. Jamais, il n’est venu me raconter un de ses petits secrets. Tout l’inverse de Camille qui m’en a toujours plus dit qu’à ses parents. J’ai été la première à connaître son Jérôme. Deux jours que son cœur battait pour lui, elle venait me le présenter. Elle voulait voir dans mes yeux si elle faisait le bon choix.
Après s’être installés près de moi dans le grand canapé, s’être servis de grands verres de jus de fruit, ils me racontèrent leur journée.
Ils ont suivi Romuald ce lundi et s’en sont donnés à cœur joie.
Ils l’ont attendu en bas de chez lui, ont patienté pendant une petite heure. Quand ils le virent sortir,ils lui emboîtèrent le pas.
Quelle ne fut pas leur surprise de le voir s’asseoir en équilibre sur la rambarde de l’escalier de la station de métro à deux pas de chez lui. Quelle idée saugrenue !
Il se plongea dans un gros livre, sorti de sa sacoche, ce qui les laissa bouche bée. Il y a endroit plus confortable pour lire, se sont-ils dit. Cela les conforta dans leur idée que Romuald leur cachait quelque chose.
Si attentif à sa lecture, comme s’il était devenu une statue, leur sembla de plus en plus bizarre à leurs yeux.
Deux heures durant, il est resté là, à tourner les pages de ce pavé dont ils ne virent pas le titre.
Ils le mitraillèrent, dont la photo qu’ils m’avaient donnée dès leur arrivée.
« Alors que fait-il, as-tu une idée ? » me demandèrent-ils ?
Non, je n’avais aucune idée. Je voulais leur laisser le plaisir de me dire leur découverte.


vendredi 9 mars 2012

Désir d'histoires (13) Christine, Atelier 57




Sur une idée d’Olivia,

Des mots, une histoire 57




 Les mots de Christine,
de tout là-bas en Chine

L’éclat doré de ma pince à cheveux sur le rebord de l’évier me renvoie à quelque chose que je n’ai pas : quatre semaines sans soleil alors que des soleils, certains en possèdent trois. Dans le couloir, un homme sifflote, le beurre prend la forme d’une étoile au contact du métal brulant .Quelques instant plus tôt la page et le crayon m’avaient cruellement délaissée. Et voilà que tapotant sur le clavier, m’arrive cette histoire…

Pas très loin d’ici, un peu plus au nord, il est un chemin au bout duquel se cache une petite maison cernée de bananiers. L’accès de ce chemin est banni par les mères colériques et les pères hypocrites.
C’est le refuge d’Une, sitôt engrossée à peine délivrée.
Il ne sera pas fait ici son procès, simplement son portrait en toute apologie.
Les étrangers ventripotents l’ont nommé l’Hydre de Lerne, les chauffeurs aux yeux d’amandiers et au teint rubicond l’appellent Gong Zhu*
De son corps-ventre en chantier tout ce que l’on sait, c’est qu’il y repousse sans cesse des têtes tranchées.
18 déjà en ont été recensées.
S’il y en a un qui doit y aller, s’il doit y avoir un Tu alors autant que ce soit toi.
« N’essaie pas de me charmer,» penses-tu en boucle sur le trajet, mais quoi !Tu te crois ainsi armé ?
« Tout ça n’est que comédie, cette femme est à l’automne de sa vie, comment pourrais-je succomber à sa magnétique attractivité ! De plus, Ceux-ci et Ceux-là m’ont dit que dans sa bouche coquelicot cohabitaient 2 fois 9 dents décalées... Est-ce qu’une bouche trouée pourrait m’attraper ?! »
(Don Juan, revois un peu ici ta philosophie, tu crois donc que rien ne peut te ruiner ?…)

Le sourire-harmonica a soufflé si fort dans la pénombre que tes bras en sont tombés, et soudain tu te retrouves aspiré et désarmé au plus profond de son nid.

Un jour, un mois, un an, combien de temps est passé ?

L’aube et le vent agitent les feuilles des bananiers. Scrutant l’azur, te voilà à présent retournant vers le sud, … mais dis-moi, en partant, n’as-tu pas aperçu dans son sourire une légère boursouflure sur sa gencive rose ?

* princesse


© 2012 – Christine


Liste des mots

 

Les mots imposés pour l’édition 57 de Des mots, une histoire sont :

automne – nord – chauffeur – ceux-ci – amandier – crayon – page – maison – chantier – ventripotent – azur – philosophie – rubicond – apologie – princesse – rose – bananier – clavier – nid – ruiner – harmonica – coquelicot – magnétique – beurre – comédie

dimanche 4 mars 2012

Une photo, quelques mots (30), Ester


 

Sur proposition de Leiloona

 

 

 

28 février 2012

Une photo, quelques mots (30)


Je l’ai lu et relu cette lettre qui m’a replongée dans un épisode de ma vie que je croyais avoir oublié.
Aux photos d’Alan était jointe cette photo. 
Où avait-elle été prise et surtout qui était cet enfant ?
Alan avait donc une fille dont il ne m’avait jamais parlé. Il ne confiait pas beaucoup de lui, et encore moins n’évoquait sa vie là-bas. Il a bien caché son jeu. Il savait que c’était une histoire sans espoir. J’aurais dû m’en douter. Il m’appelait sa petite française.
Notre relation a été faite d’une multitude de petits secrets.
Je m’interrogeais sur la présence de cette photo parmi celles d’Alan. Cette photo me touchait.
Qui était ce petit enfant mystérieux ? Étrange cette présence parmi les photos de cet amour ancien qui avait été ma seule entorse à mon contrat de mariage avec Grégoire.
Un nom écrit en patte de mouches derrière la photo et une date : Ester – janvier 2011 - 6 ans.
C’était donc une fillette  et pourquoi pas la petite-fille d’Alan, la fille de Dorian ?
J’aurai aimé en savoir plus mais je n’ai à ce jour pas pris contact avec Dorian de peur de remuer le passé et par respect pour la mémoire de Grégoire.
À mon âge, on a des principes !


Une photo, quelques mots (29), Printemps 1972


 

Sur proposition de Leiloona

 

16 février 2012

Une photo, quelques mots (29)




29 – 14 février 2012 - Printemps 1972



Quelques soucis de santé m’ont tenue éloignée de l’écriture pendant quelques semaines. Il est vrai qu’une année supplémentaire à la fin du mois qui arrive, pèse plus lourd qu’à 20 ans. Je ne vous apprends rien.
J’en ai profité pour ranger une nouvelle pile de photographies. Entre deux accès de fièvre, cela me permettait de moins penser.
Jusqu'’à ce que je tombe – oui tombe, au sens propre comme figuré sur cette photo vieille de plus de 40 ans. Le chapeau et les yeux m’ont fait de nouveau chavirer le cœur comme la première fois que je les ai rencontrés.

Ce jour-là, « l’air s’est liquéfié comme de la bouillie [1]», mon cœur a battu très fort et ma vie rangée a volé en éclats. Justement, elle était bien trop lisse ma vie, à cette époque.

D’avril à juin 1972, un tourbillon m’a emportée. Trois mois… trop courts, beaucoup trop courts. Ce n’est pas une excuse mais Grégoire, mon époux, le père de mes enfants était absent depuis le début de l’année. Une mission de six mois l’avait entraîné en Australie.
C’était une opportunité pour sa carrière, je n’avais pas souhaité l’accompagner… six mois, cela n’était pas le bout du monde.
Ce fut juste un charivari dans ma vie. J’ai pleuré beaucoup après ce mois de juin, j’en ai de nouveau les larmes aux yeux en retrouvant cette photo. Les souvenirs qui refleurissent parfois font mal.
Je l’ai rencontré ce fameux samedi 1er avril 1972. Le printemps est radieux, les robes légères et mon cœur se met à battre la chamade pour cet homme au type amérindien. Je l’avoue, je n’ai pas réfléchi et me suis lancée dans cette aventure à corps perdu. Comment résister à ses yeux verts, à ses fossettes et, je le découvris rapidement, au creux de ses reins. J’en frémis encore.
Il répondait au nom d’Alan. Il est apparu dans ma vie, m’a bouleversé. Il a failli me faire faire l’impossible et surtout l’irréparable, quitter tout pour lui.
Mais je me suis ressaisie quand arriva le 30 juin, la date annoncée du retour de Grégoire.
Ce fut le dernier jour où je le vis. Je n’eus plus jamais de nouvelles de lui.
Je suis allée chercher à l’aéroport mon mari. Mais avant, quatre heures plus tôt, au même aéroport, j’avais conduit Alan prendre son avion pour Bryson, en Caroline du Nord. Après plusieurs correspondances, il retrouverait les bords du fleuve de Tuckasegee. Il retournait dans la patrie de ses ancêtres, les Cherokee.
J’ai oublié de vous dire qu’il était venu partager son savoir pendant trois mois dans l’université où j’étais responsable au département de la bibliothèque universitaire des ouvrages d’histoire et de littérature en langue anglaise.
Trois mois, une très jolie parenthèse dans ma vie que je n’ai jamais osé avouer à Grégoire.
Cela est resté mon jardin secret jusqu'’à aujourd’hui où j’ose enfin rendre hommage à ma façon à mon tendre amant.
Les retrouvailles avec cette unique photographie de l’époque que j’avais conservée avaient été précédées l’année dernière par la réception d’une immense enveloppe grise, renforcée, protégée en provenance des États-Unis. Une dénommée Dorian me faisait parvenir des photos de ces trois mois restés enfouis au fond de ma mémoire.
« Madame,
Je n’ai pas l’honneur de vous connaître.
Papa, peu de temps avant de disparaître, m’avait fait promettre de vous envoyer ces quelques photos. Il m’a parlé de vous comme d’un grand rayon de soleil dans sa vie.
J’ai eu de la chance de vous retrouver assez rapidement et facilement. Vous n’aviez pas changé de nom, de ville et surtout vous étiez encore vivante.
Papa m’a parlé de vous comme de son grand amour et surtout son dernier amour.
J’avais six ans quand il vous a rencontré, maman avait disparu depuis cinq ans. Il m’avait confié à mes grands-parents maternels pendant son séjour d’un trimestre en France. Je lui en voulais de ne pas m’avoir emmenée mais j’aurais trop manqué à mes chères études et cela, il ne le voulait pas.
… »





[1]Dernière phrase de la page 32 de 1Q84, livre 1  Avril-Juin de Haruki Murakami


vendredi 17 février 2012

Désir d'histoires (12) Christine, Atelier 56 - Chronique provinciale




Sur une idée d’Olivia,

Des mots, une histoire 56




Les mots de Christine,
de tout là-bas en Chine


« Chronique provinciale »
- « Mr Chapon ! » 
La voix tranchante comme une lame vint à troubler le silence d’apesanteur régnant dans la petite salle d’attente .Seules, le claquement des pages d’un catalogue de correspondance pour vêtements en tergal, tournées régulièrement mais toutefois vigoureusement par une élégante main gantée, donnait le tempo. Sur la table basse, les  Paris Match froissés vers lesquels les regards convergeaient, affichaient triste mine.
La terreur climatique caniculaire qui avait pris ses quartiers sur la France en cette année, n’avait pas épargnée notre tranquille petite commune de Pamiers. Mon regard se porta sur le gribouillage que m’avait tendrement donné ce matin mon enfant Paul. Le croquis représentait notre chat paresseux Gaby. Saisissant mon stylo plume, j’annotai au bas de la feuille de Canson crème : Gabriel au couffin,1962.
Puis, j’appelai : « Monsieur Chapon ! Entrez donc ! Qu’est-ce qui vous amène ?! »
L’homme qui se tenait devant moi m’était bien familier. Sa tache de vin dentelée sur le front, singulier caroncule, son embonpoint, sa haute stature, ses petits  yeux vifs et ronds  lui donnaient l’allure d’un coq de basse cour .Depuis des années, sa viande me régale, donnant lieu à de délicieuses préparations dont seule ma femme détient le secret.
-« Docteur Bateilles, c’est  mon cœur ! »
-« Votre cœur qu’est-ce qu’il a votre cœur ? »
-« Je ne l’entends plus … »
-« Allons donc, vous allez me faire rater le Salon du Livre ! » fis-je en plaisantant !
Armé de mon stéthoscope, je m’approchais de mon patient inquiet, allongé et livide. Les coups réguliers et ralentit m’indiquaient 50 pulsations/ minute.
-« Un peu de bradycardie …rien de grave, je vais vous prescrire un petit roboratif… »
Une fois mon patient sorti, mes doigts vinrent tapoter le rythme de son cœur sur le bois chaud de mon bureau. Je sens quelque chose m’envahir, j’ouvre et sors de mon tiroir une multitude de bandes de papiers quadrillées sur lesquelles figurent de fins tracés irréguliers.
Tous ces rythmes cardiaques me donnent le vertige, je revois mon enfance où les mains enchevêtrées de ma mère effleurant ou martelant jusqu’à en saigner les touches de son piano Gaveau me faisaient sangloter. Ma sœur Mélisande, cloitrée dans sa chambre, hurlait un chant effréné, ne supportant plus les symphonies déjantées de notre mère hystérique.
« Qu’as-tu Gaston mon chéri ? » me demandait-elle alors, la tête d’une folle, ses mains suspendues dans les airs au bout de ses bras d’allumettes….
Mes doigts en grillage devant les yeux pour en amoindrir la brutale vision, je la regardais, échevelée et révulsée attendant avec hâte que mon père revienne de son cabinet .Lui, absent toute la journée, ne savait pas très bien dans ce contexte-là comment orchestrer ces tempêtes, tout  homme intériorisé qu’il était.
M’épongeant le front d’un mouchoir de coton fin, je comprends aujourd’hui que j’entretiens grâce au cœur de mes patients et de leur rythme une intimité quasi vitale .J’y retrouve le tempo maternel que je cherche à calmer ou modérer. Je ne supporte plus l’excès, je dois réguler : il me faut apaiser l’andante, vivifier le lento, accorder tout en adagio.
Et, passant devant le cimetière où repose en paix ma sœur bien-aimée, longeant les ruelles de Pamiers,  qui m’amènent à la mairie où j’officie depuis trois années maintenant, c’est avec fierté que  je me sens détenir le secret de l’harmonie de cette petite ville entièrement anesthésiée par mes cachets…

© 2012 – Christine

PS : Pour info, je me suis inspirée de la commune de Pamiers où est né Gabriel Fauré et je ne sais pas comment la caroncule m'a amenée là , je crois que c'est un coup de l'andante !

Liste des mots -

Les mots imposés pour Des mots, une histoire, 56 sont : grillagechatandante apesanteurcaronculechant contexteplumecouffinbarbouillagescroquisenfantlame livrevertige saignerchapon climatiquecatalogue matchroboratifsangloterallumettes mouchoirsenfance préparation – délicieux

lundi 13 février 2012

Une photo, quelques mots (28), Agnès


 

Sur proposition de Leiloona

 

Le lundi 7 février 2012


La galerie de Kot² : Street Shades – 8 décembre 2008

Tous les textes sont ici

Agnès


J’y prends goût à cette galerie de personnages qui s’allonge de semaine en semaine. Cela m’a redonné goût à l’écriture.
Eh oui, il n’y pas d’âge pour se faire plaisir. Cela me permet de m’évader une heure chaque semaine.

Là, j’ai pioché cette photo. J’ai laissé les mots guidés ma main.

J’imagine qu’une belle inconnue répondant au prénom d’Agnès hante les rues de la grande ville, tous les lundis soirs.
Je la surnomme « la fiancé des corbeaux ».

Regardez sa silhouette noire dont les pas glissent tout doucement sur le trottoir. Elle avance sans bruit.
Elle marche semaine après semaine, suit toujours le même chemin, parcourt sans répit les mêmes rues à la poursuite d’un fantôme.

Un jour, Agnès a perdu la trace de celui qui lui avait retourné le cœur.
Un jour, il n’est pas venu à leur rendez-vous habituel du lundi soir.
Un jour, Agnès a perdu la tête et depuis ce jour, elle fait, refait le chemin qu’ils avaient l’habitude d’emprunter tous les lundis soirs : du bureau d’Agnès où Pierre venait la chercher à 18 heures précises, puis ils remontaient bras dessus-bras dessous la longue avenue vers le petit bistrot où ils mangeaient un croque-monsieur avant se rendre à la séance de 19.30 du cinéma du quartier, une salle comme il en restait si peu, un film d’Art et essai. Puis Pierre la raccompagnait chez elle, ils passaient la nuit ensemble et se séparaient le mardi matin à 8 heures très exactement.

Cela avait duré trente-deux semaines exactement et puis plus rien.

Plus personne n’était venu chercher Agnès à son travail.

Un lundi, elle se dit qu’il avait eu un contretemps, qu’il n’avait pas pu la joindre.
Mais au bout de cinq lundis, Agnès commença à s’inquiéter. Mais elle ne connaissait que son prénom, lui seul pouvait la joindre, lui seul avait son numéro de téléphone, lui seul savait où elle habitait. Elle ignorait tout de lui.

Agnès perdit sa santé, s’enferma chez elle, perdit son travail, se cloîtra pour ne plus sortir que chaque lundi pour refaire toujours le même itinéraire.
Qu’était devenu Pierre, elle ne le sut jamais.

Si Agnès avait lu le journal, le mercredi suivant leur trente-deuxième lundi, elle aurait appris qu’un homme de 32 ans avait été fauché par une voiture à un peu plus de 300 mètres de chez elle.
Elle aurait appris qu’il était marié et laissait orpheline une petite fille de 5 ans, répondant elle aussi au prénom d’Agnès.



dimanche 12 février 2012

Une photo, quelques mots (18 à 27), Galerie de portraits


Sur proposition de Leiloona

 

Lundi 13 février 2012

Au fil des semaines, je regardais les photos. Des mots ne venaient pas, des histoires ne commençaient pas et cela ne me convenait pas… pas assez disponible dans ma tête et de plus en plus je culpabilisais…
À chaque fois, je me disais « allez, accorde-toi une demi-heure et écris »
Mais je n’y arrivais plus. Pas l’angoisse de la page blanche, non un je ne sais quoi.

Pourtant, il fallait que cela revienne ce plaisir d’aligner des mots. Il fallait retrouver ce temps précieux.
Alors je me suis donnée un grand coup de pied aux fesses, je me suis octroyé un délai de 72 heures, j’ai regardé la neige, le feu dans le poêle et je me suis intimée l’ordre d’écrire…

Le texte s’appelle : Galerie de portraits et m’a permis de rattraper tout mon retard.

Toutes les photos sont extraites de la galerie de © Kot²
sauf celle du texte 22, qui est de Romaric Cazaux



18 - 22 novembre 2011 : VIEILLIR



Vieillir et ne plus avancer qu’à petits pas avec ma canne avec cette femme sans arrêt sur mon dos. Plus un seul pas sans qu’elle ne me surveille. Depuis cinq ans, elle me suit pas à pas. Cinq ans que je suis une assistée…

Vieillir et rester en vie. Essayer de continuer à vivre.

Vieillir, tout le monde vieillit mais un jour, ils ont décidé que je ne pouvais plus rester seule. Soi-disant que je perdais la tête, que je perdais tout, que je n’étais plus la même. Ils avaient trop peur pour moi, qu’ils disaient. Alors, ils ont dit, redit, insisté : « Il vous faut quelqu’un nuit et jour ». Là, ils m’ont vouvoyée. Il y avait mon fils aîné, Yann et sa femme, la Yolande, la grande rousse qu’il a épousé il y a plus de vingt ans et qu’il trompe… il croit que je ne le sais pas… mais je vois tout… mes deux petits-enfants Camille et Romuald étaient là aussi. Il y avait aussi mon autre fils, Emmanuel et sa copine du moment, une certaine Isabelle de je ne sais plus quoi ou d’où… il aime se donner un genre... Mes fils, ils n’ont pas osé me le dire donc plus facile de m’envoyer leurs moitiés.

Elles ont pris des gants pour me dire que je ne pouvais pas rester seule, que ma maison était grande, trop grande, qu’une pièce pouvait être réservée pour celle ou celui comme je voudrais qui resterait la nuit, au cas où… pour que je ne sois pas seule. Pardi, ils voulaient être tranquilles.

Et cette photo où vous me voyez là, c’est un jeune noir qui l’a faite et me l’a offerte, avec un sourire que je lui aurais bien donné un billet de 50 €, si j’en avais eu un. Mais je n’avais jamais d’argent. Allez 10 € c’est tout ce qu’ils me permettaient. De peur que je le perde, de peur qu’ils en manquent, voulaient-ils dire.

Car je ne vous ai pas tout dit, la femme à côté de moi, avec le pain, c’est elle, c’est celle de jour. La nuit, dans la chambre d’amis, il y a en a une autre qui veille sur moi. Tu parles, elle dort, je l’entends ronfler. Cinq ans que je suis une assistée… Cinq ans, depuis qu’il a oublié de se réveiller. Une belle mort pour lui, mais une mort à petit feu pour moi, en attendant d’aller le rejoindre. Soixante ans de mariage, un bail !

Vieillir et vouloir faire encore plein de choses. Impensable, impossible. Combien de fois ai-je entendu ce mot.
La première qu’ils avaient choisie, elle n’aimait pas les musées. Donc c’était toujours impossible. C’était trop loin, il allait falloir faire la queue, il y aurait trop de monde, je me fatiguerais.
Elle a résisté six mois et est partie au bout du monde, dans une île sous les cocotiers pour s’occuper dans un club de vacances d’enfants. Après la vieille, les enfants. J’espère qu’elle sera plus aimable.

Elle, sur la photo, presque cinq ans qu’elle tient. Elle tient.
Au début, j’ai été désagréable… je ne voulais pas de son aide… puis je me suis laissée faire et petit à petit, nous nous sommes amadouées.

Elle, son prénom c’est Alice. Je l’aime bien car sans en avoir l’air, elle fait tout ce que je veux. Et surtout, ils ont confiance en elle. Ils se reposent sur elle, vous savez mes deux fils et leurs moitiés. La Isabelle de je ne sais plus quoi ou d’où a été remplacé par une Marie-Charlotte. Quand celui-là me fera-t-il un petit-enfant pour que les deux de mon aîné ne se croient pas le centre du monde.

C’est dur de vieillir. Mais je suis ENCORE vivante.




19 - 29 novembre 2011 : Souvenirs de scoute



Je vais vous ouvrir mon album photo. Des photos que j’ai découpées dans les magazines, d’autres photos que Pierre, Paul ou Jacques, façon de parler, m’ont données ou que j’ai prises moi-même, quand j’étais plus jeune.
Venez, je vais vous parler de celles que je préfère. Mais, rassurez-vous, je vais essayer de ne pas vous noyer sous les mots. Et ne dites pas « elle va radoter la vieille ». Non, j’ai toute ma tête. Vous allez voir.

Cette photo-là, c’est Alice qui me l’a donnée.
C’est une photo de son amoureux.
Elle craque, mais il y a de quoi : un crâne dégarni et ce sac avec le marsupilami. Il a été un de mes héros de BD préféré… mais ce n’est pas le propos du jour.
Moi, sur mon sac à dos, il y a très longtemps, il y avait un ours. Il me suivait partout. Cela faisait sourire mes copines au camp de scouts. Eh oui, j’ai été scoute puis pionnière. C’était juste avant la dernière guerre, en 1940.
Et mon nom de guerre était « des fleurs pour Zoé ». Je ne sais plus trop pourquoi.
Mais ne croyez pas que je me moque du Richard d’Alice. Ils vont très bien ensemble.
Elle avait les yeux pleins d’admiration quand elle m’a tendu la photo.
Ce Richard est mieux de dos que de face. Je plaisante !!!




20 – 6 décembre 2011 : Un beau c…


Vous allez croire que je suis obsédée mais j’adore ce genre de photo.
Un beau c… dans le métro… ça se remarque et se regarde.
Celle-là, une page arrachée dans un quelconque magazine qui traînait chez mon cardiologue !
Ce c… si j’avais été plus jeune, à dévorer… comme les croissants du dimanche que mon défunt mari allait me chercher chaque semaine. Notre petit plaisir rituel.
Parce que regardez-le. Il se cambre, il se pavane. Il sait qu’il est beau gosse. Et son couvre-chef !
Dommage que je ne prenne plus le métro. Mes deux fils me l’ont interdit.
« Maman, cela pourrait être dangereux pour vous. Une mauvaise chute. Une bousculade. Une agression. »

Qu’est-ce qu’ils vont imaginer. Que je leur obéis. À mon âge !
Heureusement, avec Alice, une fois par mois, le jeudi après-midi, on se fait une promenade en métro. Notre escapade mensuelle. Mais jamais on a vu un tel c…
Celui-là, je le nomme Pierre-Emmanuel. C’est notre petit secret, à moi et à l’inconnu.
Comme j’ai beaucoup d’imagination, je lui invente sa vie.




21 – 13 décembre 2011 : L’allumeur de réverbères


Je vous propose la 3ème photo de mon album. Je l’ai retrouvé dernièrement dans la bibliothèque qui jouxte ma chambre. Une grande maison permet d’avoir ce luxe, une pièce toute entière réservée aux livres.

Elle servait de marque-page dans le livre de Stéphane Audeguy, « la théorie des nuages », son premier roman paru en 2005.
Je l’avais offert à mon mari pour son anniversaire. Je ne savais pas encore que ce serait le dernier que nous célébrerions.

Cette photo, nous l’avions prise en 1992, date notée derrière. Mais je ne me souviens plus où. Juste que nous nous étions promenés dans un grand parc.
J’avais inventé une histoire d’allumeur de réverbère, de lumière qui scintillait et d’obscurité qui allait libérer les fantômes du lieu. Je me souviens que nous avions beaucoup ri. Mais je ne sais plus où c’était.
Sylvianne, la gardienne de mes nuits a peut-être raison ; parfois, j’oublie… mais ce n’est pas grave.

Tiens, je vais me plonger dans l’histoire d’Akira Kumo et de Virginie Latour. Je saurai peut-être ainsi pourquoi les nuages portent ces drôles de noms. Je vais poser mes yeux sur les derniers mots lus par celui qui m’a quitté trop tôt.




22 – 20 décembre 2011 : Grégoire, Camille, leurs mains d’or



Abandonnons quelques instants mon album photo.

Regardez plutôt cette peinture. Et ne dites pas, cette croûte, s’il vous plaît.
J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux.
Quand je partirai, elle sera pour ma petite fille, Camille. Elle l’a toujours adorée depuis qu’elle a su parler.

J’avais à peine vingt ans, quand je l’ai reçue comme premier cadeau offert par celui qui allait devenir mon mari. Il avait voulu me plaire en peignant un clocher qui n'allait pas manquer de m’évoquer mon auteur préféré, Proust.

Et je ne sais pas pourquoi, il avait intitulé ce tableau « Place de Chine ».

Il avait de l’or dans les doigts, mais jamais il ne fit commerce de son talent. Il offrait ses œuvres, pour juste le plaisir de donner.
S’il avait voulu, ses dispositions auraient pu lui ouvrir les portes de nombreuses galeries. Mais il était trop discret et n’aimait pas être célébré. Longtemps, il essaya de m’initier à sa passion mais honte à moi. Je préférais le regarder peindre et écrire des histoires sur ses tableaux. Il faudra que je vous fasse voir mes cahiers et carnets. Ils sont tous bleus.
Grégoire, mon charmant époux, a refusé de son vivant qu’une exposition de ses tableaux soit faite. Depuis, malgré de nombreuses sollicitations, je refuse aussi. Je ne veux pas trahir sa mémoire.
J’espère que nos fils feront de même.

Camille a hérité de son brio. Elle est actuellement aux Beaux-arts, espère devenir restauratrice de tableaux et consacre beaucoup de temps à ses propres tableaux. Elle prépare d’ailleurs une exposition pour cette fin d’année. J’en attends avec impatience le vernissage. Elle a aussi un autre dada, la photographie.




23 – 3 janvier 2012 : désagrégation d’un papillon



Et cette photo. Elle n’est pas dans l’album. Je l’ai mise sur la commode dans l’entrée en petit format, mais aussi en tirage presque grandeur nature dans la bibliothèque, à côté de la fenêtre, pour que je la voie quand je suis assise dans le fauteuil de Grégoire.
N’est-elle pas magnifique, ma Camille !
Elle attend son amoureux, Jérôme, qui l’a photographiée, caché un peu plus loin. Ils s’étaient donné rendez-vous pour aller au cinéma. Il est arrivé une heure avant. Il a photographié tout et rien, mais surtout elle, qui était arrivée une bonne demi-heure à l’avance aussi.
Il l’a appelé cette photo «  Désagrégation d’un papillon ». Toujours des titres à l’emporte-pièce, mais il le peut, maintenant que ses photos commencent à faire courir du monde, du beau monde dans les expositions que je ne manque pas de fréquenter. Ils se complètent merveilleusement.
Camille l’attendait sous la pluie, avec les mitaines et l’écharpe que je lui avais offertes pour son anniversaire. Vous ne pouvez voir qu’elles sont bleues, de la couleur de ses yeux, de la couleur des yeux de son grand-père dont elle seule a hérité et qui lui vont à ravir.
Anxieuse, amoureuse peureuse, tout elle, en résumé sur cette photo.
Camille attendait son Jérôme qui a fait ce jour-là plus de cent photos d’elle. J’ai choisi celle-là, elle y est si vivante.




24 – 10 janvier 2012 : Le coureur de haies



Et cette photo…
Bizarre ce jeune homme qui semble endormi, accroché à la poignée du métro d’une ville inconnue. À moins qu’il ne se trouve dans l’une des voitures de l’Eléctrico W.
Il semble en dehors de la vie, son regard tourné vers le sol. Perdu dans ses pensées, terminant sa nuit, la commençant…
Qui est-il ?

Cette cicatrice lui barrant le haut du crâne, m’impressionne et m’interroge. Le résultat d’une bagarre, d’une chute d’enfant ou le signe d’appartenance à un gang. Mon imagination s’emballe. Il m’intrigue.

Il se tient en équilibre dans ce moyen de transport dont j’ignore tout. Écoute-t-il un air qui le berce, l’envoie ailleurs ?
Que fait-il cet homme, où va-t-il, d’où vient-il ? Mais surtout qui est-il ?
Je lui invente une vie. Je veux qu’il vive la vie d'un athlète de haut niveau qui visualise sa dernière course de 110 mètres haies. Il décompose les secondes de course en un millier d’images. Il cherche où il a perdu ce précieux dixième de seconde… il veut comprendre pourquoi son genou ne s’est pas levé assez haut sur la quatrième haie. Il revit sa course.
Chut ! Ne pas le déranger !




25 – 17 janvier 2012 : Court-métrage



Cette photo-là, j’y tiens aussi. D’ailleurs comme toutes celles que je vous montre, elle fait partie de mes petits trésors.
Ce sac blanc en plein milieu du cliché attire l’œil.
Mais cette femme, je ne sais plus qui elle est. J’ai oublié son nom.
®    Alice, son nom à cette belle femme ?
®    Madame, vous ne vous souvenez pas. C’est la dernière amie en date de votre fils cadet, Marie-Charlotte, celle qui se prend pour une actrice de cinéma.
J’admire sa chevelure qui s’échappe de son chapeau. Est-il bien approprié à ce temps frisquet ?
Le vent souffle, doublé d’un petit crachin breton même si la place que cette femme traverse est celle de Notre-Dame de Paris.
Alice m’a rejointe et se met à parler :
®    Cette photo a été faite lors du tournage du court-métrage, « Le magasin des suicides » dont, Jérôme, le chéri de Camille a été le photographe de plateau. Rappelez-vous, nous l’avons regardé hier avec Camille sur son ordinateur.
C’était bizarre. On y courrait beaucoup et on y pleurait beaucoup aussi. Il était question de gargouilles également. Je crois que je n’ai pas tout compris, mais le principal, j’ai passé du temps avec Camille. En réfléchissant, Camille n’a qu’une petite dizaine d’années de moins que la chérie en titre de mon deuxième fils. Celui-là un jour me fera mourir de chagrin.




26 – 24 janvier 2012 : Une moustache se met à table



Cette photo, je ne sais plus dans quel magazine je l’ai découpée. J’en ai toute une pile de plus ou moins insolites. J’aime les feuilleter, les classer, les déclasser. Les couleurs d’un côté, les noir et blanc d’un autre ou alors suivant l’humeur, les avec personnages d’un côté, les autres d’un autre. Tout cela suivant mon humeur ou l’air du temps.
J’adore écrire, il me faut un support pour faire fuser mes idées et tout d’un coup des bribes de vie naissent. Des personnages prennent corps et je me trouve embarquée dans des aventures sans queue ni tête.

Regardons de plus près cette photo : Tout semble transparent, jusqu’aux hommes.
Une toute petite réserve : où était posté le photographe ? Je pencherais pour l’intérieur du café. Mais quelle idée a pu lui traverser l’esprit ? Peut-être espionnait-il l’homme en terrasse ? Il a de drôles de chaussure, vous ne trouvez pas.
Et cet homme grimpé, sur la table – illusion d’optique - que regarde-t-il ? Peut-être feuillète-t-il le roman de l’été qu’il vient d’acheter ? 
Étrange atmosphère, certainement voulue par le photographe. Photo instantanée ou sélection au milieu de plusieurs prises en rafale. Aucune idée.
Le titre du texte que j’aurais envie d’écrire à partir de cette photo : « une moustache se met à table. »
Allez, je me lance.
L’homme à la moustache, que j’appellerai bien Jérémy, tous les jours, vient boire son jus d’orange. Il choisit toujours la même table, celle…





27 – 31 janvier 2012 : France - Irlande



Une nouvelle photo tirée de la pile sans personnage. Pourtant, il y en a bien un, derrière cette photo. Camille m’a raconté l’histoire de ce cliché et l’étrange Sean.

Avec son Jérôme, Camille était partie passer un week-end à Dublin. De tendres souvenirs à la pelle et cette étrange rencontre avec un Irlandais au physique de déménageur, qui leur avait fait découvrir la ville.
Ils l’avaient rencontré à leur descente d’avion et il était devenu leur guide dans la ville. Il avait une passion, les escaliers.
Drôle de coïncidence, Jérôme aussi. Il aimait les photographier et avait un projet de livre sur ce sujet en route.
À la suite de Sean, ils en ont monté et descendu des marches. Camille avait renoncé à les compter. Mais plus de deux mille à leur actif pendant ce week-end insolite, elle en était sûre.
Cette photo a été la dernière de la série, la der des der.
Les reflets d’un bâtiment dans la vitrine de ce pub pas très net, les reliefs d’une pause déjeuner ou de la rencontre de trois habitués du lieu : drôle d’ambiance !
Ils étaient entrés tous les trois dans cet endroit, Camille rassurée par la présence de ses deux accompagnateurs.
La dernière bière bue avec Sean, l’échange de leurs coordonnées et je crois que c’est là qu’ils mirent au point la venue de l’énergumène pour le prochain France – Irlande du tournoi des 6 nations.
Je ferai enfin sa connaissance car ils m’en avaient rabattu les oreilles de leur Irlandais, qui, d’après eux, me plairait beaucoup.
J’attendais avec impatience le samedi 11 février 2012. Pour mes quatre-vingts ans, j’irais au Stade de France pour la première fois de ma vie et certainement la dernière, ce serait mon cadeau d’anniversaire.
Je comptais les jours et faisais rire Alice à qui je rabattais les oreilles de mes souvenirs de rugby en lui parlant de Roger Couderc, des frères Spanghero, d’Albaladejo, du grand Herrero et de bien d’autres. Elle était originaire de Toulouse donc avait baigné dès son enfance dans ce jeu avec un ballon ovale.