dimanche 4 mars 2012

Une photo, quelques mots (29), Printemps 1972


 

Sur proposition de Leiloona

 

16 février 2012

Une photo, quelques mots (29)




29 – 14 février 2012 - Printemps 1972



Quelques soucis de santé m’ont tenue éloignée de l’écriture pendant quelques semaines. Il est vrai qu’une année supplémentaire à la fin du mois qui arrive, pèse plus lourd qu’à 20 ans. Je ne vous apprends rien.
J’en ai profité pour ranger une nouvelle pile de photographies. Entre deux accès de fièvre, cela me permettait de moins penser.
Jusqu'’à ce que je tombe – oui tombe, au sens propre comme figuré sur cette photo vieille de plus de 40 ans. Le chapeau et les yeux m’ont fait de nouveau chavirer le cœur comme la première fois que je les ai rencontrés.

Ce jour-là, « l’air s’est liquéfié comme de la bouillie [1]», mon cœur a battu très fort et ma vie rangée a volé en éclats. Justement, elle était bien trop lisse ma vie, à cette époque.

D’avril à juin 1972, un tourbillon m’a emportée. Trois mois… trop courts, beaucoup trop courts. Ce n’est pas une excuse mais Grégoire, mon époux, le père de mes enfants était absent depuis le début de l’année. Une mission de six mois l’avait entraîné en Australie.
C’était une opportunité pour sa carrière, je n’avais pas souhaité l’accompagner… six mois, cela n’était pas le bout du monde.
Ce fut juste un charivari dans ma vie. J’ai pleuré beaucoup après ce mois de juin, j’en ai de nouveau les larmes aux yeux en retrouvant cette photo. Les souvenirs qui refleurissent parfois font mal.
Je l’ai rencontré ce fameux samedi 1er avril 1972. Le printemps est radieux, les robes légères et mon cœur se met à battre la chamade pour cet homme au type amérindien. Je l’avoue, je n’ai pas réfléchi et me suis lancée dans cette aventure à corps perdu. Comment résister à ses yeux verts, à ses fossettes et, je le découvris rapidement, au creux de ses reins. J’en frémis encore.
Il répondait au nom d’Alan. Il est apparu dans ma vie, m’a bouleversé. Il a failli me faire faire l’impossible et surtout l’irréparable, quitter tout pour lui.
Mais je me suis ressaisie quand arriva le 30 juin, la date annoncée du retour de Grégoire.
Ce fut le dernier jour où je le vis. Je n’eus plus jamais de nouvelles de lui.
Je suis allée chercher à l’aéroport mon mari. Mais avant, quatre heures plus tôt, au même aéroport, j’avais conduit Alan prendre son avion pour Bryson, en Caroline du Nord. Après plusieurs correspondances, il retrouverait les bords du fleuve de Tuckasegee. Il retournait dans la patrie de ses ancêtres, les Cherokee.
J’ai oublié de vous dire qu’il était venu partager son savoir pendant trois mois dans l’université où j’étais responsable au département de la bibliothèque universitaire des ouvrages d’histoire et de littérature en langue anglaise.
Trois mois, une très jolie parenthèse dans ma vie que je n’ai jamais osé avouer à Grégoire.
Cela est resté mon jardin secret jusqu'’à aujourd’hui où j’ose enfin rendre hommage à ma façon à mon tendre amant.
Les retrouvailles avec cette unique photographie de l’époque que j’avais conservée avaient été précédées l’année dernière par la réception d’une immense enveloppe grise, renforcée, protégée en provenance des États-Unis. Une dénommée Dorian me faisait parvenir des photos de ces trois mois restés enfouis au fond de ma mémoire.
« Madame,
Je n’ai pas l’honneur de vous connaître.
Papa, peu de temps avant de disparaître, m’avait fait promettre de vous envoyer ces quelques photos. Il m’a parlé de vous comme d’un grand rayon de soleil dans sa vie.
J’ai eu de la chance de vous retrouver assez rapidement et facilement. Vous n’aviez pas changé de nom, de ville et surtout vous étiez encore vivante.
Papa m’a parlé de vous comme de son grand amour et surtout son dernier amour.
J’avais six ans quand il vous a rencontré, maman avait disparu depuis cinq ans. Il m’avait confié à mes grands-parents maternels pendant son séjour d’un trimestre en France. Je lui en voulais de ne pas m’avoir emmenée mais j’aurais trop manqué à mes chères études et cela, il ne le voulait pas.
… »





[1]Dernière phrase de la page 32 de 1Q84, livre 1  Avril-Juin de Haruki Murakami


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