Dans
le cadre des vases communicants de mars 2016
Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...
J’ai le grand plaisir d’accueillir Aunryz
Tamel dont les mots sont habituellement ici.
Après l’ensemble des dix fragments parus récemment,
le texte du mois.
Excusez le retard mais des choses très bizarres
se sont passées… avant que le texte n’arrive ici.
Où il est question d'usurpation, de je ne sais quoi de la part de je ne sais qui d'ailleurs !
En tout cas un agréable moment de partage de mots...
A vous d'en juger.
Les autres
Ce matin-là, Nathan s’était éveillé vide de lui-même.
Pas un seul indice de sa présence dans ce qu’il avait retenu de rêve.
Et ce vide l’enchantait. Il lui fallait absolument
conserver le plus longtemps possible cet état dans lequel, déserté de sa
conscience, le monde entier lui appartenait. Et cette possession incluait
l’existence de l’Autre, de tous les autres.
Afin que rien ne vienne perturber cet état, qu’aucune pensée
personnelle ne rappelle son moi parti vagabonder, Nathan devait au plus vite
sortir de chez lui, se mêler à ces Autres. Ceux des trottoirs, des cafés, des
transports en commun …
…
A mi-chemin du cours Mirabeau, Nathan décida d’aller boire
un café aux Deux Garçons. Les banquettes plaisaient à son dos fragile et la
rumeur y était telle qu’elle rendait impossible le suivi d’une conversation en
particulier. Ainsi le zapping était constant sans qu’il soit nécessaire de le
provoquer.
Nathan s’installa dans le centre du café, au beau milieu du concert des voix, tourné vers
l’entrée de manière à voir arriver les nouveaux clients.
…
Ils s’étaient longuement embrassés devant la porte avant de
la franchir. Se tenant la main, tous deux marchaient avec la décontraction
dansante de ceux qui se sentent beau.
La vingtaine, blonds tous deux, elle aux yeux verts, lui
d’un bleu piqueté d’orange. Après être passé derrière Nathan, ils allèrent
s’asseoir sur la banquette appuyée à la sienne.
…
Nathan s’était assoupi. Quelques secondes pas plus. Dans le
cas contraire l’un des serveurs serait venu le réveiller. Il se redressa mais
encore las, appuya sa tête sur sa main et les masquant de ses doigts, il garda
les yeux fermés.
A présent, Nathan ne pouvait plus voir le couple qui l’avait
si fortement impressionné à leur entrée - et il ne devait pas être le seul - mais
étrangement, alors même qu’ils chuchotaient comme s’ils craignaient qu’on les
entende, Nathan percevait très distinctement leurs paroles. Le vacarme du café,
s’était figé, papier peint, immobile, sur lequel les mots dits à voix basse se
détachaient clairement, si distinctement qu’il lui semblait qu’ils
s’imprimaient directement dans sa tête sans le concours de son ouïe.
- - Moi aussi je t’aime Hélène, mais crois-moi, ce
n’est pas si simple.
- J’ai rarement aimé être emmenée en bateau…
- Je t’ai promis de lui dire. C’est une question
de quelques jours.
- … mais chaque fois que tu me ballades, et c’est
arrivé si souvent, j’ai l’impression de vivre un rêve…
- Dans une semaine, un mois tout au plus, nous
serons ensemble.
- … un rêve Thibault, un rêve
Parfois leurs mots se recouvraient presque, se caressaient à
distance, une distance qui paraissait à Nathan étrangement grande et s’est en y
songeant …
…
Il s’était à nouveau assoupi. Un mouvement dans son dos
l’avait soudainement réveillé, en même temps qu’une voix haut perchée.
- - Si tu as fini, Armand, on peut y aller.
- - Doucement Paulette, y a pas le feu. Je
raccroche, je finis mon demi tranquillement et on se rentre.
Nathan se retourna, pour voir la jeune fille ouvrir son sac,
y ranger son portable et se rasseoir.
L’intermède était terminé, sa conscience à nouveau en route
pour assembler entre eux les morceaux de la réalité qui venait de se jouer
devant lui, Nathan était à nouveau présent, seul. Il paya son café, jeta un dernier coup d’œil
en direction du couple. Et d’un pas mesuré qu’il aurait voulu plus serein, il s’enfuit.
Grand merci à Aunryz
Tamel
Et
que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :
« François Bon Tiers
Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier
d’avoir trouvé ce titre de vases
communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit
sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens
autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Si vous êtes tentés
par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants…