vendredi 2 août 2013

Les vases communicants - août 2013 (23) : Christophe Grossi

Dans le cadre des vases communicants du mois d’août 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi de ce mois, ce 2 août 2013, est ici ou ici.

J’ai le plaisir d’accueillir Christophe Grossi que vous pouvez découvrir aussi ici...

Un livre qui n’est jamais bien loin sur le bureau ou dans le sac pour une séance de « Lire et faire lire »


*« En ce temps-là, le léopard n'avait pas de taches, mais une belle robe couleur de sable » est l'incipit de « Les taches du léopard » (« How the Leopard Got His Spots »), un des contes des Histoires comme ça (Just So Stories) de Rudyard Kipling.

Un incipit qui a donné naissance à une longue phrase…
Prenez votre souffle, appréciez, délectez-vous en…

Puis relisez-là à haute voix…

Une phrase (idiote) comme ça

En ce temps-là, le léopard n'avait pas de taches, mais une belle robe couleur de sable* et, là où le félin vivait, le commerce se portait à merveille puisqu'il n'avait pas encore été importé – la mode vestimentaire non plus du reste (ce qui ne devrait même pas être précisé puisque, comme tout le monde le sait, les animaux – hormis quelques-uns d'entre eux, domestiqués, amourachés de créatures accrochées à leurs escalopes milanaises ou alors tout simplement nés pour foutre le bazar – n'ont jamais couru les soldes ni léché les vitrines sauf lorsqu'un porc-épic suicidaire ou un lièvre inconscient ont eu l’outrecuidance de les tenter en venant frotter leur croupe affamée de sexe contre la vitre d'un 4x4 abandonné) et comme le commerce du prêt-à-porter n'avait pas encore fait son apparition dans ces régions (bien que les félins auraient pu se demander pourquoi ces bipèdes qu'ils apercevaient parfois – fusils, clopes, portables, filets, jumelles, etc., dans leurs mains – s'emmitouflaient dans de drôles de feuilles et de lianes colorées) jamais on n'en parlait lors des réunions mensuelles ou quand on se retrouvait près du lac pour boire un verre et qu'on papotait longuement avant la sacro-sainte sieste crapuleuse, mais voilà, comme toute chose, bonne ou mauvaise, a une fin, il avait suffi qu'un drôle de zigue se pointât la gueule enfarinée (on ne connaîtra jamais la vérité, le boxeur Australien ayant été apparemment shooté dans son bush natal avant d'être largué en pleine savane) dans l'antre de la première famille léopard venue, en slip et non à poil comme il aurait dû l'être, pour changer à jamais la donne et le paysage et les couleurs et les mentalités de toute cette région jusque-là préservée (comme vous l'aviez sans doute deviné) et ce n'est pas rien vous savez ce que le kangourou titubant a fait ce jour-là (malgré lui, il est sans doute devenu l'inventeur de cette chose qu'on enseignera plus tard aux étudiants de première année dans les écoles de commerce, de publicité, de marketing et de communication : créer du désir mais surtout créer le besoin), ce n'est pas rien, non, la famille léopard pourrait d'ailleurs témoigner qu'elle a commencé à se déchirer à ce moment-là : trop classe son slibard, je veux le même, maman, ce soir je vais à une teuf dans une grotte tu pourrais m'acheter le même ? (exemple de demande qu'on aurait pu enregistrer si le ZOOM H4n avait existé), les fils léopards sautant partout, les filles léopards ne quittant plus des yeux le calfouette du rouleur de mécaniques, les mères se signant, les pères devant reconnaître qu'ils se sentaient soudain dépassés par les événements, si bien que, pour tenter de remettre un peu d'ordre dans la savane, le vieux léopard avait dû demander au kangourou s'il pouvait céder son calbute (il aimait le blanc), alors ce dernier (quel malin, ce roi du triple saut) avait rétorqué qu'il avait besoin du sien mais que, s'ils le désiraient, il pouvait leur en faire faire, mieux même, que, pour satisfaire toutes les demandes (parce que bientôt il y en aurait des milliers), ils devaient construire une usine et des machines et travailler et travailler et travailler pour produire des calcifs comme le sien,... (pas la peine de s'étendre sur ce procédé qu'on connaît bien), qu'il pourrait ensuite leur vendre le produit fini à l'unité ou par lots (des nuits ensuite à créer une monnaie : sur ce coup-là, ce sont les singes qui ont pris le dessus et le contrôle de la banque centrale), qu'ils pourraient ainsi les acheter et que, pour aller plus loin encore, on ne les ferait pas blancs, mais de la couleur de leur pelage (so chic, bondissait le marsupial) mais voilà, alors qu'on était sur le point de trouver un accord, les zèbres ont débarqué en masse, et les lions aussi, puis sont venus les oiseaux, les papillons, les paons, toutes sortes d'animaux tachetés, ocellés, tigrés, qui eux voulaient un slip rappelant leur pelage ou leur plumage mais, malins chez les malins, ceux-là avaient d'emblée souhaité pouvoir se les échanger lors des soirées très private (le paon rêvant d'arborer un slip kangourou, le petit satyre des bois celui du jaguar, etc.), si bien qu'à la fin seuls les léopards (les dindons de la farce) se sont retrouvé avec des barslows unis, sans intérêt, mais fort heureusement (on a choisi une histoire qui se termine bien), la petite d'un léopard, en tombant amoureuse d'un ocelot, donnera naissance quelque temps plus tard à l'élu, au patron : un animal tacheté (il en aura fallu du temps, n'est-ce pas ?) qui deviendra naturellement (après dépeçage) le premier modèle de slip léopard, ce must-have qui détrônera rapidement, et de loin, le slip kangourou, kangourou qui, selon nos sources à sec, aurait disparu du jour au lendemain (on n'est plus à une bizarrerie près) sans demander son reste ni son froc.

Christophe Grossi, 26 juillet 2013


Grand merci à Christophe Grossi
Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.


Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 


Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants

1 commentaire:

ACC a dit…

Une drôle de phrase bien peuplée et animée. J'ai souri à plusieurs reprises. J'ai particulièrement aimé au début l'idée de ces animaux ", domestiqués, amourachés de créatures accrochées à leurs escalopes milanaises ou alors tout simplement nés pour foutre le bazar