vendredi 7 juin 2013

Les Vases communicants de juin 2013 (22) : Olivier Hodasava

Dans le cadre des vases communicants de juin 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi du mois de juin 2013 est ici ou ici.

J’ai le plaisir d’accueillir Oliver Hodasava

Juste un mot avant que vous ne lisiez le texte qui suit : Merci.



Quand Danielle Masson m’a proposé que nous choisissions comme thème pour ce Vase Communicant de juin une maison située sur l’avenue Félix Géneslay au Mans (au numéro 280 pour être précis), à charge pour elle d’en aborder l’aspect documentaire, à charge pour moi d’inventer une histoire, j’ai trouvé l’idée fantastique. Oui, vraiment. Danielle m’offrait ainsi, pensais-je, un territoire merveilleux pour laisser libre cours à mon imagination.
Et donc. Comme souvent dans pareille situation, très vite (le soir même), pour asseoir ma narration, j’ai cherché à me documenter, sur la ville, et éventuellement le quartier, la rue…
J’ai aussi contacté la seule personne originaire du Mans que je connaissais : un ancien de mes collègues qui vit maintenant en Suisse où il réalise des documentaires pour le compte de télévisions locales.
À cet homme, j’ai envoyé l’adresse, et une capture d’image faite dans Street View. Je voulais savoir si, à tout hasard, il connaissait le quartier et ce qu’il pouvait en dire.
Le lendemain, j’ai reçu la réponse qui suit, qu’il m’a, depuis, autorisé à publier pour peu que je garde son identité secrète et que je reproduis ici, faute d’écrire une fiction, sans en changer une virgule (disons que ma contribution à ce vase Communicant aura été de provoquer cet étonnant hasard) :

Bonsoir Olivier,
Je me suis demandé s’il s’agissait d’une blague (façon caméra cachée) ou d’un incroyable concours de circonstance. Mais vu que je n’ai jamais raconté à personne ce que je m’apprête à t’écrire, je penche évidemment pour la seconde solution.
Et donc, voilà. Il faut, me semble-t-il, que je te parle de ce qu’il m’est arrivé une après-midi d’été, il y a maintenant un bon paquet d’années.
Je devais avoir quatorze ou quinze ans. À l’époque – je sais, ça va paraître difficile à croire – j’étais fou d’aéromodélisme et je passais mon temps à faire des figures avec une réplique d’alouette radiocommandée.
J’habitais alors boulevard de la Fresnellerie qui est tout à côté de ta maison de l’avenue Félix Géneslay. Le quartier était un peu moins construit qu’il ne l’est aujourd’hui et j’avais fait mon terrain de jeu de la rue du Docteur Roux (qui est juste derrière ta maison).
Et donc. C’était l’été. J’étais en vacances. Je faisais voler mon hélico. Et, pour une raison que je ne me suis jamais expliqué, ce jour-là, j’en ai perdu le contrôle.
J’ai suivi tant bien que mal la dérive de l’engin. Je l’ai vu s’échouer sur le rebord d’une fenêtre – je sais, ça va te paraître incroyablement improbable mais c’est comme ça ! – de ta maison du 280 de l’avenue Felix Géneslay. C’était la fenêtre du dernier étage, celle que l’on voit sur la photo que tu m’as envoyée !
Les volets, ce jour-là, n’étaient pas fermés. Par chance, le verre des vitres, sous le choc, ne s’est pas brisé.
Toujours est-il que mon hélico était là, suspendu, les pales coincés entre fenêtre et barres d’appui.
J’ai sonné pour récupérer mon appareil mais personne n’a répondu.
Il devait être seize ou dix-sept heures. La raison, évidemment, aurait voulu que j’attende ou que je revienne ; que je laisse un mot. Mais non, là, comme ça, machinalement, j’ai actionné la poignée du portail. Celui-ci n’était pas verrouillé. Il s’est ouvert.
Je suis entré dans le jardin.
Je suis allé frapper à la porte. Pas un bruit en retour… J’ai pensé escalader la façade. Mais non, c’était impossible.
Je me suis dirigé à tout hasard vers le garage. J’ai découvert que la porte de celui-ci n’était pas fermée. Je suis entré. Oui, je sais : c’était insensé ! À tout instant quelqu’un pouvait arriver. J’en avais conscience. Et pourtant.
Je suis entré dans le garage. J’ai refermé la porte derrière moi.
Au fond à droite, il y avait une autre porte encore, qui menait de toute évidence au hall de la maison. Cette porte, pas plus que les autres n’était close…
Je n’ai pas hésité.
Je me suis dit que j’allais opérer très vite, que deux minutes suffiraient, que je serais très bientôt dehors.
J’ai grimpé l’escalier, avalant les marches deux par deux.
Je me suis retrouvé au dernier étage.
C’était une chambre qu’il y avait là-haut, avec, collé contre un des murs, un lit de 90.
Je suis allé directement à la fenêtre. J’ai eu un mal fou à l’ouvrir (je tremblais de tout mon corps) mais bon, j’y suis arrivé. J’ai pris mon alouette. J’ai refermé.
J’avais déjà descendu un étage quand j’ai entendu claquer le portail. Je me suis figé. Quand j’ai entendu une clé, en bas, dans la serrure, sans réfléchir, je suis remonté dans la chambre. Et comme j’entendais des pas qui montaient, je me suis caché sous le lit, mon hélicoptère serré contre moi.
Mon cœur, tu peux t’en douter, battait la chamade. J’étais terrorisé comme rarement je l’avais été – comme rarement je l’ai été depuis.
Une personne, finalement, est entrée dans la pièce. C’était une jeune femme pour ce que j’en ai vu (des tennis aux pieds, un large revers à son jean). Elle a vaqué. Elle s’est installée un temps à son bureau. Puis elle est venue s’asseoir au bord du lit (ses chevilles en gros plan sous mes yeux).
Sans se déchausser, elle s’est allongée pour feuilleter un magazine – je percevais le bruit des pages qu’elle tournait.
Dehors, ont commencé à tomber de grosses gouttes d’une pluie d’orage. Il y a eu un éclair lointain. Et puis plus rien. La pluie a cessé. La fille n’a plus fait le moindre bruit.
Je n’osais bouger. Je sentais mon corps s’engourdir.
Je ne savais pas quoi faire. J’imaginais que le pire allait bientôt se produire…
Le temps m’a paru long, incroyablement long.
Une grosse demi-heure s’est écoulée avant que, soudain (je n’avais pas entendu le portail), d’autres personnes ne pénètrent dans la maison. Il y a eu des voix, en bas – celle d’un homme, celle d’une femme.
La fille est sortie de sa torpeur (je pense qu’elle s’était endormie). Elle s’est levée. Elle est descendue…
J’ai entendu quelqu’un dire : Vite, dépêche-toi ! On va être en retard. Et la fille est entrée à nouveau dans la pièce pour récupérer quelque chose (je ne sais pas quoi).
Et puis, elle a dévalé l’escalier.
J’ai entendu la porte claquer. J’ai entendu le portail se refermer.
J’ai compté plusieurs fois jusqu’à cent. Devant la persistance du silence, je me suis dit qu’il fallait que je tente une sortie. C’était le moment ou jamais.
Je me suis extirpé de ma cachette.
J’ai jeté un dernier œil à la pièce autour de moi.
Je me suis engagé sur le palier. Je me suis aventuré dans l’escalier. J’ai d’abord progressé sur la pointe des pieds puis de plus en plus vite.
Je me suis retrouvé dans le garage. Là, dans la précipitation,  j’ai failli renverser un pot de peinture.
Je me suis collé à la porte qui donnait sur l’extérieur. J’ai jeté un œil au dehors. Pas un chat.
Alors, j’ai respiré un grand coup et je me suis engagé à découvert.
Voilà.
Je ne suis pas particulièrement fier de ce que j’ai fait ce jour-là. Seulement, c’est arrivé. Comme je te le raconte exactement. Dans cette maison précisément sur laquelle tu dois écrire.
Peut-être ne vas-tu pas me croire – mais pourquoi inventerai-je pareille histoire ? Et puis, tu dois commencer à me connaître, ce n’est pas vraiment mon genre.
Que dire de plus ?
Ça a été la dernière fois, ce jour-là ; que j’ai fait voler mon alouette. Elle doit toujours être quelque part chez mes parents. La prochaine fois que j’y vais, promis, je tâcherai de la retrouver. Et d’en faire une photo. Si ça se trouve, dessus, il y a encore des traces de la peinture de la rambarde contre laquelle elle s’était coincée.
Je t’embrasse.
X.

Grand merci à Olivier Hodasava
Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.


Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 


Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants