lundi 26 janvier 2015

Une photo, quelques mots (152), Inès et Jorge


Le principe de cet atelier ?

Chaque mardi Leiloona publie une photo qui servira de base pour les textes. Une semaine pour l’écrire : les textes sont publiés le lundi matin.
Ni genre, ni ton imposés. Seul le plaisir d’écrire. Encore et toujours.

Pour voir les liens de tous les textes, rendez-vous ici.

26 janvier 2015

Une photo, quelques mots (152) - ma 47ème  participation 

Et voici la photo de cette semaine ! 


© Julien Ribot


Inès et Jorge

Arbre, je suis, arbre, je le resterais.
Malgré toutes les blessures infligées par ces maniaques du canif, du poinçon, de l’opinel, du…. de l’arme, oui osons dire le mot, de l’arme qui me blesse et me marque à jamais, je survis et je reste debout.

Maudit le jour, où cet individu, le premier, a tracé ce cœur maladroit sur mon tronc. Il fallait un premier graffiteur, ce fut celui-là.
Il grava, dans ce cœur malhabile, deux prénoms Inès et Jorge[1].
Je ne sais même plus quand il osa me mutiler. Il a oublié de mettre la date. Je n’étais pas à une blessure près. Naïf, je croyais qu’elle serait seule et unique et non reproduite. Que diable !

Reprenons le cours de ce récit, sur ce geste premier qui a fait de moi, un homme. N’importe quoi, je suis un arbre et je le demeurerais[2].

Pst, Inès et Jorge… peut-être des étrangers d’ailleurs… je me mis à imaginer qu’ils venaient d’Espagne et de Grèce en raison de ces drôles de prénoms que je n’avais jamais entendus. Je voulais pouvoir les excuser. C’était une coutume chez eux, je supposais.

Je me souviens parfaitement d’eux.

C’était une nuit d’hiver.
Leur couple venait du pont tout là-bas, celui qui brille toujours de mille feux, comme si chaque lampadaire était entouré d’un halo.
La rumeur des voitures ne venait pas jusqu’à moi.
J’ai eu le temps de les observer, lors de leur promenade vers moi.[3]
Je les entendais rire, je les voyais se frôler, je les entendais respirer, je les voyais arriver près de moi… quand soudain, il la plaqua contre mon tronc encore intact[4] et… il lui murmura à l’oreille des mots que je ne pus entendre… mon âge me rendant un peu dur de la feuille.
Elle, une grande fille aux yeux bleus clair tout habillée de noir avec des cheveux noirs de jais lui descendant presque aux genoux. Ils me chatouillaient d’ailleurs, mais je ne m’en plaignais pas. Cela changeait des malotrus qui, parfois, soulageaient leur vessie contre moi, et pas que des mal élevés à quatre pattes.
Lui ressemblait à un lutin farceur. Sa tenue bariolée me le faisait croire échappé d’un cirque, celui-là même qui s’était installé non loin de l’avenue que j’avais l’honneur de border avec ma dizaine de frères.
Il lui serrait la taille, avec un air conquis et conquérant à la fois.
Ils continuaient de rire, se collaient à moi, joignaient leurs mains en m’entourant quand soudain, ils s’arrêtèrent.
Il lui dit quelque chose, je crus entendre « à la vie, à la mort ».
Il sortit de je ne sais où, un canif au corps nacré et à la lame acérée et commença à m’entailler. Oui, à me pénétrer. Je souffrais, mais il ne m’entendit pas crier, me plaindre.
Il appuya de toutes ses forces, s’appliqua en gravant d’abord ce I, dont il oublia le point, puis ce N, puis ce E avec cet accent qui me fit trembler et ce S.
Il se recula, contempla son œuvre. Je crus mes souffrances terminées, mais non, il continua. Son prénom apparut sur mon corps puis, sans arrêter, il cisela ce cœur d’une seule traite.
Je ne décolérais pas après cet outrage à mon intégrité.
Il prit une photo, dix photos, emportant un morceau de mon âme. Il était fier de lui. Sur une des photos, elle embrassait mon tronc, plutôt l’hommage à leur amour[5], qui avait intérêt d’être éternel.
Je versais une larme qu’ils ne virent même pas.
Cet affront ne dura pas plus de cinq minutes.
Je me remettais à peine de mes émotions, je cicatrisais à peine quand… un autre individu recommença.
Un, puis deux, puis dix au fil du temps.

Quand j’avais trop de chagrin, je rêvais au temps où j’étais choyé dans la pépinière de Monsieur Du Platane dans mon énorme conteneur en bois.
Mais un jour, on me mit avec un certain nombre de mes congénères sur un immense plateau. Le camion roula, roula, une éternité. Je fus secoué, j’eus mal au cœur.
Je me retrouvais dans une grande ville.
Je me l’étais bien dit, que me planter sur cette avenue était plus que dangereux. J’avais rêvé d’être transporté par un énorme bras de grue rouge au dernier étage d’un immeuble surplombant la Seine. Je vous l’accorde, elle n’est pas loin.
Mais je rêvais de la voir d’en haut, de vivre sur un toit… et non au ras du caniveau.
Là-haut, personne ne m’aurait estropié.


                          






[1] Neuf lettres au total qui m’ont remué les entrailles. Heureusement, certains suivants ne graveront que leurs initiales. Mais revenons au tout premier temps de ma souffrance.
[2] C’était une façon de parler. L’Arbre, tu n’as aucun humour !
[3] Qu’aurais-je pu faire d‘autre d’ailleurs.
[4] Tout de suite les idées mal placées ou grivoises
[5] Maigre réconfort après cette offense

lundi 19 janvier 2015

Une photo, quelques mots (151), Nando

19 janvier 2015

Et voici la photo de cette semaine ! 



 19 janvier 2015, hommage à Nando


« Moi, c’est Nando. Mon plaisir me promener dans la ville dès le début de la matinée. Les magasins ne sont pas encore ouverts. Je flâne, je regarde à gauche, à droite et là… mais parfois, ils ne savent pas quoi inventer.
Une boutique attire mon attention. J’en traverse la rue. Sur la devanture, ce mot étrange en belles lettres cursives qui ravivent mes souvenirs.
Cela me rappelle un vrai semainier, celui qui trônait dans la salle à manger de ma grand-mère, un meuble de famille. D’ailleurs où est-il maintenant ? Sept grands tiroirs où, avec mes cousins et cousines, nous trouvions toujours plein de menus trésors. Un tiroir pour la réserve de bonbons de toutes les couleurs… un autre pour les tubes de peinture et les crayons de toutes sortes… un autre aussi pour… et un autre… et aussi, le dernier tout en bas, accessible par tout le monde, pour les petites culottes. Tant d’enfants de tout âge s’agitaient dans la grande bâtisse. Il pouvait arriver un accident de parcours ou de fous rires. Les petites culottes, toutes de la marque Petit Bateau.
Cinquante ans en arrière, je viens de replonger. Cela me fait doucement sourire.
Surprenant mais original cette devanture, pour preuve, cela fait une bonne demi-heure que je suis plantée devant.
Oui, c’est moi Nando, vous ne m’aviez pas reconnue. C’est vrai que je suis un peu plus voûtée que la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Je vous assure, je n’ai pas changée.
Des étiquettes avec des prénoms, oui cela ne peut être que des prénoms aussi bizarres ou désuets les uns que les autres. Tiens, Marguerite comme ma petite sœur, celui est acceptable… je respecte la famille… Isabeau… inconnue au bataillon, là Éric, un autre Méphisto.
Et celui imprononçable, Chrysostome…
Mais ce ne sont pas des prénoms. Je divague.
Ce sont le nom des modèles.
Je me vois mal entrer dans la boutique et dire : une petite culotte Alice taille 4 ans, bleu clair s’il vous plaît. Ajoutez une grenouillère assortie.
Et une barboteuse. Comment cela vous n’avez pas de barboteuse pour ma première arrière-petite-fille Charlottine.
Charlottine, cela vous plaît. Vous pourrez l’utiliser pour votre prochaine création, je vous en donne la permission… »
Pourquoi a-t-elle parlé de Charlottine ?
Il n’y a jamais eu de Charlottine dans sa vie… il n’y a pas eu d’arrière-petite-fille, parce qu’il n’y a pas eu de petite-fille, parce qu’il n’y a pas eu de fille dans sa vie.
Dans la vie de Nando, il n’y a eu plus personne depuis le jour où son grand amour de jeunesse a été emporté un jour de grosse tempête sur son petit bateau.
Nando ne s’en est jamais remise et quand elle voit écrit « Petit bateau », elle est obligée de traverser la rue.
Attention, Nando en traversant !

                                                                    


lundi 12 janvier 2015

Une photo, quelques mots (150), Madeline

 

11 janvier 2015

Ce 150è atelier a un goût amer, j’ai longtemps réfléchi … Le maintenir ? Mettre une photographie ? Hier, je ne le pouvais pas. Je me disais même que je mettrais un rectangle noir … Et puis, je suis tombée sur cette photographie de Julien Ribot.

© Julien Ribot
A vous de voir si le besoin d’écrire se fait sentir.
Aujourd’hui, le besoin de dire et de parler fut la plus forte …

Madeline




En ce dimanche 11 janvier 2015, je m’appelle Madeline, comme depuis ce mercredi de ma naissance, il y a 32 ans.
Je ne m’appelle pas Charlie. Je ne suis pas Charlie.
Je suis Madeline mais je voudrais pouvoir aimer tous les Charlie du monde, les vrais, les faux.
Mais je ne peux pas. Trop nombreux les Charlie !.[1]
Je suis Madeline.


Ailleurs, j’aurais été Charlie. Ma vie aurait été autre. On aurait fêté mon prénom le 4 novembre. On aurait dit de moi que j’avais un prénom charmant mais je ne suis pas Charlie.
Donc je ne suis et ne dois pas être charmante.
Je suis juste Madeline ou Madeleine de Proust comme s’amusaient à m’appeler mes compagnons de cours à la fac.
Je suis et je reste Madeline
Je ne suis pas sur le pont des Arts. D’ailleurs qu’irais-je faire sur ce pont, ce pont qui a failli crouler sous le poids des 57 094 cadenas avant que toutes les grilles soient démontées.


Moi, ce cadenas-là, j’aurais été le mettre sur la grille de la fenêtre de celui que j’aime.
Oui, il y a une grille à sa fenêtre. Sait-on jamais, le quartier pourrait ne pas être sûr.
Mais c’est juste son cœur que je veux lui voler.
Le pourquoi de la grille, l’ancien propriétaire était super-protecteur de sa fille chérie. Il craignait qu’elle fasse le mur.
Mon amoureux n’a pas supprimé la grille.



Sur le grillage rouillé, je dépose mes offrandes.
Cela fait rire mon amoureux.
À chacun de mes retours de voyage, je suis reporter, je lui accroche le porte-clés de la ville dont je reviens. Mais de plus en plus dur à trouver ce fameux porte-clé, la mode à passer, mais pas notre petit jeu, il se continue.
Je ne m’appelle pas Charlie. Je ne suis pas Charlie.
Je suis Madeline.[2]








[1] Au début de l’écriture de ce texte, à 15.32, il y avait 8 031 Charlie de par le monde repertoriés par la dernière application ajoutée sur mon téléphone portable. Je suis devenue la 8 032ème Charlie.

[2] À la mise en ligne de ce modeste texte, il y a 33 732 Charlie.

dimanche 4 janvier 2015

Une photo, quelques mots (149), le 8.32

 

Sur proposition de Leiloona

 

 

04 janvier 2015


Et voici la photo de cette semaine ! 


© Julien Ribot




Le 8.32

Comme chaque matin, il était seul sur le quai numéro 1 à attendre le 8.32.
De l’autre côté du quai, la cohue, la foule, tout ce qu’il détestait depuis toujours.
Où allaient tous ces gens ? Au travail, en vacances… il ne voulait pas le savoir. Il se sentait mal, oppressé… sa poitrine se serrait, ses jambes tremblaient… ses mains devenaient moites.
Des images de convois s’ébranlant vers les camps de la mort, à chaque fois, tous les jours, se superposaient à la réalité. Tous les jours sans exception. Il entendait des cris…Il se retenait de ne pas boucher ses oreilles.
Il se redressait, ne bougeait pas et attendait, seul, le 8.32.

Comme tous les matins, Olivier Junior, se rendait au chevet de sa grand-mère qui, il le redoutait, vivait ses derniers jours.
Six mois qu’il effectuait le même trajet. Pour rien au monde il n’y aurait renoncé.
Il se devait d’être présent chaque jour auprès d’elle.
Elle lui racontait les histoires, petites et grandes, de sa famille. Elle avait perdu des forces mais aucunement sa tête. Sa mémoire était toujours aussi vive.
Son cerveau allait à cent à l’heure, il se devait de tout consigner. Il lui fallait raconter cette histoire de famille, les secrets de sa famille qu’il découvrait.
Si sa grand-mère n’avait pas parlé, s’il n’était pas venu tous ces derniers jours, cent quatre-vingt jours qu’il l’écoutait, qu’il écrivait, il n’aurait jamais su qui il était vraiment.

Comme chaque matin, il noircissait des pages et des pages.
Que de pleurs retenus, que de rires partagés.
Elle le réparait, lui le vivant, qui avait toujours eu mal sans savoir pourquoi.
Mamy Nany, ne me quitte pas.



vendredi 2 janvier 2015

Les vases communicants - janvier 2015 (39) : Olivier Savignat

Dans le cadre des vases communicants de janvier 2015, 
mon 39ème échange de mots,

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

Tous les liens vers l’aventure du 1er vendredi du mois de janvier 2015 sont ici.

Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Olivier Savignat dont les mots sont ici.

Un petit coucou à Brigitte Célérier
Et un grand merci à Angèle Casanova d’avoir repris le flambeau et dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens.

Un livre qui traîne sur un coin de bureau.
Il suffit naturellement de l’ouvrir à la page 32 et de faire de la première phrase trouvée l’incipit de nos deux textes.

A utiliser ou pas cette première phrase...

Merci à Jean Teulé et son livre “Le magasin des Suicides”





Interruption


Le drap blanc
La recouvre jusqu’aux seins
Et laisse deviner la forme de son corps
Les yeux clos les paumes regardant le plafond
Elle semble attendre une offrande
La tache rouge s’étend et avale le blanc
Il s’approche retire
Le couteau fiché
Entre deux côtes
L’essuie négligemment sur son pull
Le jette dans l’évier de la cuisine
S’installe sur le canapé du salon
Coupe le son et reprend
Sa poursuite
Des nuages



 Grand merci à Olivier.

Pour pourrez découvrir mes mots … ici

Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 

Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants


jeudi 1 janvier 2015

Les vases communicants de l'année 2014


Meilleurs vœux pour cette nouvelle année



Un grand merci à celles et ceux dont j'ai eu grand plaisir à publier les mots et qui ont bien voulu recevoir les miens.

Marilyn Gillaizeau, Myriam OH, Cécile Portier, 
François Bonneau, Sophie Régnier, Julien Boutonnier, Marianne Desroziers, Franck Queyraud, Martine Gros,
Cécile Benoist, Dominique Hasselmann, 
Wana Toctouillou, Angèle Casanova.

Une belle année de nouveaux échanges en perspective...

en janvier, Olivier Savignat
en février, François Vinsot
en ...

A vous lire...