samedi 4 août 2012

Chez Asphodèle les mots en U (15), Vous ne devinerez jamais


 

LES PLUMES DE L’ÉTÉ 21 – mots en U !



Ici, pour lire les textes du jour



Il s’appelait Utérus.

Je n’en crois pas mes yeux ni mes oreilles d’ailleurs.
Pourtant je devrais être habituée, cela dure depuis 2 102 jours mais je ne m’y fais pas.

Rien n’est utopie, tout est vrai de vrai dans ce qui va suivre.

Il faut dire qu’il est unique. Oui celui qui s’emploie parfois à me faire tourner chèvre avec son don d’ubiquité et son sens assez particulier de l’humour. Il répond au doux nom de Tinange.

Dans ses us, se servir d’un ustensile de cuisine, par exemple une fourchette pour jardiner.
Cela ne vous étonne pas !
Moi, cela m’exaspère surtout quand toute l’argenterie de mon arrière-grand-mère y est passée. J’ai juste réussi à sauver une petite cuillère. Tout le reste a disparu ou parade dans son jardin potager.

Aucun respect, je vous dis !

Inutile de lui lancer un ultimatum pour que cessent de telles pratiques.
Je connais sa réponse d’avance : « Au moins, elle est utile ton argenterie au lieu de dormir au fond d’un tiroir »

Est-ce que cela se soigne ? Il serait peut-être urgent que je m’en renseigne. Ce tic ou ce toc a peut-être un nom usuel.

Mais enfin, cette ménagère usée par les années, pardon patinée, je n’en avais que l’usufruit.
Et si un de mes frères décide tout d’un coup qu’elle lui revient lors de son union avec Mademoiselle Marie-Caroline de Haut-Chemin…
S’il souhaite surprendre Monsieur son futur beau-père, Monsieur Urbain de Haut-Chemin, propriétaire de l’usine dont il a été le coursier, il y a encore peu de temps, l’amour ne se commandant pas.

En effet je n’ai jamais été la légataire universelle d’un des trésors familiaux, juste sa dépositaire.

Je pourrais toujours essayer d’expliquer qu’il me l’a usurpée mais personne ne me croira et on m’accusera de ne pas avoir veillé au grain.

J’espère que je ne mériterais pas pour cela un uppercut, car mon frère ne plaisante pas avec les trésors de famille.


Mais hier, cela a été digne du Père Ubu.

De nombreux animaux vivent autour de nous, dont ma tortue Tomate, elle aussi faisant partie de mon héritage.
Depuis longtemps j’avais envie d’un compagnon pour elle mais savais que c’était utopique, les tortues étant introuvables sur le marché légal.

Tinange est arrivé avec une boîte entourée d’un gros nœud en velours vert. J’imaginais cachés dedans chapeau de paille, sandalettes et robe assortie que j’avais aperçus dans la boutique de mon amie Mireille.

Je m’en voyais déjà étrennant la tenue au mariage de mon frère, celui dont je vous ai parlé un peu avant.

Tinange posa le carton sur la grande table.
Quand je vis le dit-carton s’agiter, je commençais à douter.
Je me méfiais, craignant tout d’un coup une blague douteuse de mon compagnon.
J’ouvris le carton et découvris une énorme tortue.

Mon vœu était exaucé pour ma chère Tomate mais je restais bouche bée quand je lus le carton l’accompagnant.

« Bonjour, je m’appelle Uchronie. J’ai 92 ans. Merci de prendre soin de moi.
PS : Mon vrai nom est Utérus, nom douteux donné par mon ancien propriétaire. Mais j’ai accepté que Tinange me rebaptise. »


vendredi 3 août 2012

Les vases communicants (11), Le passage par Christopher Selac



Dans le cadre des vases communicants
d’août 2012

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...



L’aventure du mois d’août 2012, est ici ou ici.

J’ai grand plaisir à accueillir Christopher Selac
Que vous pouvez lire ici,
Découvrez son dernier roman paru, ici, en vente dans toutes les bonnes librairies…

Un titre d’album échangé,

Une phrase en incipit : « Pourquoi habites-tu plus loin qu'à pied ? »

Et l’imagination s’est mise en route.

Et tout comme moi, vous ne serez pas déçu…
Laissez-vous entraîner dans




Le passage, par Christopher Selac

- Pourquoi habites-tu plus loin qu'à pied ? demanda-t-il lorsqu’elle vint le chercher.
Elle le toisa, pensive, avec son regard d’adulte. Des raisons par dizaines : sens unique de circulation, route barrée pour cause de travaux, courses à faire, manifestation sportive, cérémonie culturelle, prise d’otage, alerte à la bombe, ou simplement envie d’ailleurs…
- Monte, je vais t’expliquer, lui répondit-elle finalement, en déverrouillant à distance les portes du cabriolet.
La véritable raison, c’était le Passage. Trop petit pour comprendre. Même s’il avait pour consigne de passer par là, le plus court chemin pour rentrer chez lui, mais jamais seul, surtout jamais seul. Un tunnel sous la quatre voies, quelques marches pour y descendre, autant pour en remonter, avec entre deux une longue obscurité de béton en lignes brisées, pour ne pas voir d’une entrée à l’autre, pour ne pas faire de sa traversée un jeu pour bolides pétaradants à deux roues. Dans le meilleur des cas, une odeur d’urine qui vous prend à la gorge, un néon sur deux qui fonctionne, les inscriptions à la bombe sur les parois grises de ce béton qu’il vaut mieux ne pas lire, et les pires sortes de déchets qui traînent par terre, à ne surtout pas toucher avec les doigts. Et prier pour ne croiser personne à certaines heures, surtout quand…
- Attaché ? demanda-t-elle au petit garçon. Il hocha la tête en guise de réponse.
Le Passage, elle ne le prenait plus. Depuis longtemps. Le moteur s’éveilla, et avec lui des frissons à travers tout son corps. Chasser le Passage. Le fuir. Le plus vite et le plus loin possible. L’accélération les engonça profondément dans leurs sièges, lui avec le sourire, assis à l’avant, privilège trop rare, elle, les cheveux presque à l’horizontale, guidant le vent qu’ils fendaient vers le coffre, vers les souvenirs qu’elle laissait derrière.
- Alors, tu m’expliques ? revint-il à la charge dès le premier carrefour.
- Je ne fais que ça.
Le feu vert, elle appuya encore plus fort sur la pédale. Il reconnut la route de la corniche, il sut où ils allaient. Le soleil essayait tant bien que mal de tenir leur rythme, ils défilaient devant le paysage qui n’avait d’autre solution pour les ralentir que de s’enrouler autour de la roche, et plus ils déjouaient ses pièges, plus l’altitude leur offrait la vision sur le large, sur les reflets de bleu qu’ils voyaient de trop loin pour les appeler des vagues.
Elle s’arrêta là-haut, après quelques centaines de mètres sur le petit chemin qui naissait dans l’extérieur du dernier lacet. Ils connaissaient l’endroit tous les deux, il y avait des initiales gravés sur presque tous les arbres, presque les mêmes lettres que celles peintes à la bombe, et pourtant si différentes. Elle l’invita à s’asseoir à même la roche, au milieu des lichens, avec autour d’eux le concert des cigales qui couvrait le bruit de la ville en dessous, sous leurs pieds dans le vide, elle respira fort, un grand coup, et il fit pareil, les yeux qui flottaient sur la mer posée en horizon devant eux.
- Pourquoi habites-tu plus loin qu'à pied ? demanda-t-il encore, maintenant qu’ils étaient au calme, maintenant qu’ils étaient loin.
Parce qu’elle ne pouvait plus éviter de répondre, elle se lança dans des grandes explications, avec des mots de grand, des choses compliquées comme « habiter, ce devrait être vivre. Mais vivre ici, c’est être habité par l’endroit, c’est lui qui vit en nous, un peu comme en bas, mais à l’envers, tu comprends ? ». Il comprit qu’elle ne voulait pas en parler, alors qu’il lui aurait suffi de dire qu’en voiture il fallait aller chercher le pont, celui qui passe sur la quatre voies, pour pouvoir regagner la résidence, ses tours, et l’autre bout du Passage. Descendre de la voiture le regard triomphant, comme si on l’avait vaincu en évitant de le prendre, tout en sachant qu’il sera là encore demain, et que cette fois-là, ce sera obligé, il faudra l’emprunter.
- En passant par là, ce n’est pas moi qui l’emprunte, c’est lui qui m’emprunte, pensa-t-il à voix haute. Un peu plus chaque jour. Comme toi avant, pas vrai ?
Elle ne répondit pas, les yeux ajoutant des larmes à l’horizon pourtant bien rempli. Le soleil les avait dépassés depuis longtemps. Comme moi aujourd’hui, pensa-t-elle, comme moi pour toujours.



Crédit photo :
le-tunnel-qui-fait-peur-quand-on-est-gamin, par Yohann Legrand


Grand merci à lui.

Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 

Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants, que chacun puisse relayer les autres... »