vendredi 6 mai 2016

Les vases communicants (54) : Sylvie POLLASTRI

Dans le cadre des vases communicants de mai 2016

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

J’ai le grand plaisir d’accueillir Sylvie POLLASTRI dont les mots sont habituellement ici.

Autour d’une phrase proposée, partagée et mise en mots.

le livre de Pierre TILMAN – QUESTIONS aux éditions PLAINE PAGE traîne près de moi, je l’ouvre à la page 15 et lis : "Avez-vous déjà déchiré une photo ?"


Ce sera le début de notre échange pour le mois de mai.

Ci-dessous le texte que Sylvie a bien voulu me confier…

« Avez-vous déjà déchiré une photo ? »
(P. Tilman, page 15)

Je m’avançais vers le parapet. Depuis l’angle gauche de l’avenue s’ouvrait un espace simple et tranquille, une rue devenue piétonne le long de la façade d’un immeuble des années trente dont l’enseigne liberty annonçait des amusements désormais muets, et un petit carré vert auquel rien ne manquait l’arbre, la haie de buis, deux rosiers en fleurs, un banc de calcaire clair que je traversais d’un pas rapide, avant que l’avenue en bord de mer ne m’arrêtât. Une voiture passa, point blanc sur l’asphalte gris. Une autre ralentit pour me laisser passer, tandis que j’étais en équilibre sur la longue double ligne qui séparait les voies.
Je m’avançais vers le parapet. Sur le point de poser le pied sur le trottoir, après avoir eu un bref geste de remerciement envers l’automobiliste, alors que mon regard était déjà loin vers l’horizon, la mer vert-de-gris, le grand nuage de nacre sur la droite qui disait déjà la pluie, la lumière pâle durcissant la peinture noire des lampions de bronze qui se détachaient ainsi comme des aiguilles du temps sur cette immense horloge météorologique, le souffle des embruns enveloppa tout mon corps.
Je m’avançais vers le parapet. La mer vint à moi avec ses mondes, ses voyages, ses âmes éperdues, ses voiliers, ses bourrasques. La mer fut un murmure, fut un geste d’amour. Une ivresse des sens. Sans rien voir d’autre que sa surface étale sous le ciel qui devenait tempête j’entendis ses voix. Je sentis ses passions, patiences, pénitences, sirènes mythiques invisibles et voraces. Je reçus ses caresses, maternelles, éternelles. En silence. La mer vert-de-gris avec le ciel d’orage venait me caresser, là, de leur souffle de chair, tiède, chargé d’eau, salé. Ils venaient me toucher, ici, d’un mince tissu de soie qui tourbillonne autour du corps, s’entortille à lui et s’échappe. J’entrais brusquement dans l’espace, mou, familier, paisible de leur présence venue à moi. La rencontre de nos souffles comme des êtres qui s’embrassent.
Je regarde. J’essaie de voir. Revoir.
J’effrite l’image à la recherche du tangible, du palpable. L’objet que mes doigts triturent n’est qu’une surface lisse et glacée sur laquelle ont été imprimés mer, ciel d’orage, un long boulevard, de rares voitures, quelqu’un, là. Je cherche au milieu des morceaux que j’éparpille les embruns qui se moulent sur les doigts, la respiration du vent salé qui pose son haleine sur la peau et la parfume, la mer qui par vagues vient vers nous, s’enroule autour de nos chairs, monte le long de nos jambes dans une caresse infinie. Je cherche les souffles qui m’embrassent. Je déchire le désir de ne pouvoir toucher. La photo n’est plus. La photo n’est pas. A-t-elle vraiment été ?
Il me reste le souffle du ciel et de la mer, et ce baiser.



Grand merci à Sylvie

Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 

Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants

Merci à Marie-Noëlle Bertrand d’avoir repris le flambeau.