lundi 30 décembre 2013

Une photo, quelques mots (108), La rumeur

@ Marion (twentythreepeonies)

La rumeur.
La rumeur s’était répandue très vite.
Elle avait franchi les murs pourtant très épais de l’immeuble où Florian se cloîtrait depuis maintenant trente-deux jours.
Depuis le jour, où la peur bleue était revenue dans sa vie.

Maudit le jour où il avait regardé le toit de la maison d’en face.

C’était un jour comme les autres ; tout du moins, il le croyait.

Ce lundi-là, il venait de se lever, avait enfilé le premier tee-shirt qui lui était tombé sous la main, un noir. Il n’avait que des tee-shirts noirs.
Puis, il s’était dirigé vers la fenêtre, comme tous les matins, depuis des années, sa façon à lui de se mettre en route pour la journée qui commençait, son enfer quotidien qu’il essayait d’apprivoiser jour après jour.
Avant, il avait mis de l’eau à chauffer pour son thé blanc de Chine, toujours le même, le Bai Mu Dan, souvenir d’un de ses lointains voyages, du temps où il partait.
Maintenant, il ne voyageait plus que dans sa tête.

Maudit ce jour où il avait regardé le toit de la maison d’en face.

Que faisait-elle là-haut, à se prendre pour un oiseau ?
Elle avait une robe blanche, une robe de mariée, la même il le jurerait que celle que Julia portait le jour de leurs noces.
Soudain, elle avait pris son envol. Il voulut crier mais aucun son ne sortit de sa gorge. Elle volait, elle volait et elle disparut.

C’était un jour comme un autre ; mais ce lundi-là, elle était revenue. Elle s’était de nouveau envolée. Elle avait disparu de nouveau.

Il recommença à avoir peur, cette peur qui lui tenaillait le ventre, nuit et jour.

D’autres avaient levé la tête ce lundi-là. D’autres l’avaient vue s’envoler et disparaitre.

La rumeur s’est répandue très vite.



vendredi 6 décembre 2013

Les vases communicants - décembre 2013 (26) : François Morey

Dans le cadre des vases communicants de décembre 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi du mois de décembre est ici.

J’ai le plaisir de recevoir François Morey, que vous pouvez suivre ici

Un échange de photos, un choix, un incipit et des mots qui ont jailli, que je suis très heureuse d’accueillir.


Mais place aux mots de François Morey



Photo © Danielle Masson 22 septembre 2013


Évidemment, l’objet est beau
Destin bancal, suivre le fil à cloche-pied, du bois d’ipé au carrelage de l’arrière-cour, il faut franchir le portail peint. Évidemment l’objet est beau mais c’est quand même une barrière, une clôture, une frontière. Dehors le seau est vidé, dedans il est presque plein. Alors surgit la voix du fou chantant :
Ah qu'il est beau le débit de lait
Ah qu'il est laid le débit de l'eau
Débit de lait si beau débit de l'eau si laid
S'il est un débit beau c'est bien le beau débit de lait

François Le Niçois



« Évidemment, l’objet est beau » est l’incipit de :
Cravates [Texte imprimé] / Marc Solal ; préf. de Sophie Fontanel. - Paris : Assouline, 2003 (impr. en Italie). - 9-[71] p. : nombreuses ill. en coul., jaquette ill. en coul. ; 23 cm.
ISBN 2-84323-436-0 (br.) : 16 EUR. -





Grand merci à lui.
Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.


Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 

Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants



jeudi 31 octobre 2013

Les vases communicants - novembre 2013 (25) : Eric Dubois

Dans le cadre des vases communicants de novembre 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi du mois de novembre est ici.

J’ai le plaisir de recevoir Eric Dubois, que vous pouvez suivre ici ou ici.

Plaisir renouvelé car déjà les mots d’Eric Dubois avaient trouvé une place sur une de mes pages en avril 2012

Eric Dubois est né en 1966 à Paris. Auteur de plusieurs ouvrages de poésie aux éditions Le Manuscrit, Encres Vives, Hélices, l'Harmattan, Publie.net .Responsable de la revue de poésie en ligne « Le Capital des Mots ». Blogueur : « Les tribulations d'Eric Dubois ».  Chroniqueur dans l'émission « Le lire et le dire » sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 fm Paris) depuis 2010.


Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.

Mais place aux mots d’Eric Dubois

Hier quelque chose

Le mot qu'on trouve

Partir n'a pas de sens

Équivoque

Les nuages sont gros

Hier quelqu'un est tombé

Il faut donner à moudre

Les étrennes

Qui a regardé l'autre?

Ne pas savoir

Plier le papier en quatre

Hier quelque chose

La ville est une rumeur

On attend la déchirure

Ces fleurs découpées dans la cendre

Hier quelqu'un a vu

Le précepte intime du désir

Chacun dans ses attributions

La dernière silhouette

Dans l'ouverture de la fenêtre

Octobre 2013

ERIC DUBOIS


Grand merci à lui.


Je me suis permis ce nuage Wordle TM 

 pour illustrer ses mots...



Merci à lui de m'avoir accueillie sur son blog "les tribulations d'Eric Dubois" pour ma contribution à cet échange de vases.... ici

Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 


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jeudi 3 octobre 2013

Les vases communicants - octobre 2013 (24) : Amélie Charcosset

Dans le cadre des vases communicants d’octobre 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi du mois d’octobre 2013 est ici ou ici.

J’ai eu le plaisir d’accueillir Amélie Charcosset.
Prenez le temps de la découvrir ici, ou , ou encore ici.

Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.

Mais place aux mots d’Amélie sur une photo du

Port de Saint Tropez - 21 janvier 2013 – Photo prise par 32 octobre


Et avec 32 mots à voler dans son Abécédaire de l’exil/du dépaysement.





[Le chant des errants]

C’est le port c’est le fou c’est mon tort c’est ton cou
C’est la mort c’est le tout c’est nos corps on s’en fout
C’est ce qui bout alors quand soudain tout à coup
On s’exaspère encore gâchant ce qui se joue

C’est la guerre qu’on tente, et la porte fermée
Terre ferme inventée, et nos amours en pente
Loin l’espérance lente, et la valse qui chante
Des vies qu’on a ratées, nos chagrins désuets

Les défis qui défilent, brouhaha chahuté
Partir pourquoi pleurer, rire de rage épais
Doigts croisés immobiles, chercher le changement
Nous aurons nos étés, nous aurons cent printemps.

Beauté des imminents, et naître de nouveau
C’est le port c’est tout nous, les reflets de nos peaux
Les aspects du passé, ceux qui fichent le camp
Les camps laissés figés et le chant des errants

Comprendre sans chercher, construire sans cacher
Laisser l’excitation à ceux qui la voudraient
C’est le bain c’est les flots c’est le un le zéro
Laisser l’inhibition à ceux qui craignent l’eau.

Quand le manque est trop loin et les sens bien trop là
Quand le souvenir frêle vibre sous mes paupières
Et quand la vie s’emmure et vient creuser nos pas
Quand la crainte est à cran Quand donc serai-je entière ?

Et les graines qu’on sème et les routes qu’on prend
Les révoltes qu’on mène, les valises qu’on tend
Les territoires qui bougent et les sables mouvants
Les questions que l’on ose, et l’espoir qui se pend

Horizons d’habitudes, à compter jusqu’à mille
Le port en interlude, le départ se faufile
J’ai grandi dans des choix, des pourquoi des comment
Ou quitter le bateau, ou rester en courant.

Grand merci à Amélie Charcosset.

Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 


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vendredi 2 août 2013

Les vases communicants - août 2013 (23) : Christophe Grossi

Dans le cadre des vases communicants du mois d’août 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi de ce mois, ce 2 août 2013, est ici ou ici.

J’ai le plaisir d’accueillir Christophe Grossi que vous pouvez découvrir aussi ici...

Un livre qui n’est jamais bien loin sur le bureau ou dans le sac pour une séance de « Lire et faire lire »


*« En ce temps-là, le léopard n'avait pas de taches, mais une belle robe couleur de sable » est l'incipit de « Les taches du léopard » (« How the Leopard Got His Spots »), un des contes des Histoires comme ça (Just So Stories) de Rudyard Kipling.

Un incipit qui a donné naissance à une longue phrase…
Prenez votre souffle, appréciez, délectez-vous en…

Puis relisez-là à haute voix…

Une phrase (idiote) comme ça

En ce temps-là, le léopard n'avait pas de taches, mais une belle robe couleur de sable* et, là où le félin vivait, le commerce se portait à merveille puisqu'il n'avait pas encore été importé – la mode vestimentaire non plus du reste (ce qui ne devrait même pas être précisé puisque, comme tout le monde le sait, les animaux – hormis quelques-uns d'entre eux, domestiqués, amourachés de créatures accrochées à leurs escalopes milanaises ou alors tout simplement nés pour foutre le bazar – n'ont jamais couru les soldes ni léché les vitrines sauf lorsqu'un porc-épic suicidaire ou un lièvre inconscient ont eu l’outrecuidance de les tenter en venant frotter leur croupe affamée de sexe contre la vitre d'un 4x4 abandonné) et comme le commerce du prêt-à-porter n'avait pas encore fait son apparition dans ces régions (bien que les félins auraient pu se demander pourquoi ces bipèdes qu'ils apercevaient parfois – fusils, clopes, portables, filets, jumelles, etc., dans leurs mains – s'emmitouflaient dans de drôles de feuilles et de lianes colorées) jamais on n'en parlait lors des réunions mensuelles ou quand on se retrouvait près du lac pour boire un verre et qu'on papotait longuement avant la sacro-sainte sieste crapuleuse, mais voilà, comme toute chose, bonne ou mauvaise, a une fin, il avait suffi qu'un drôle de zigue se pointât la gueule enfarinée (on ne connaîtra jamais la vérité, le boxeur Australien ayant été apparemment shooté dans son bush natal avant d'être largué en pleine savane) dans l'antre de la première famille léopard venue, en slip et non à poil comme il aurait dû l'être, pour changer à jamais la donne et le paysage et les couleurs et les mentalités de toute cette région jusque-là préservée (comme vous l'aviez sans doute deviné) et ce n'est pas rien vous savez ce que le kangourou titubant a fait ce jour-là (malgré lui, il est sans doute devenu l'inventeur de cette chose qu'on enseignera plus tard aux étudiants de première année dans les écoles de commerce, de publicité, de marketing et de communication : créer du désir mais surtout créer le besoin), ce n'est pas rien, non, la famille léopard pourrait d'ailleurs témoigner qu'elle a commencé à se déchirer à ce moment-là : trop classe son slibard, je veux le même, maman, ce soir je vais à une teuf dans une grotte tu pourrais m'acheter le même ? (exemple de demande qu'on aurait pu enregistrer si le ZOOM H4n avait existé), les fils léopards sautant partout, les filles léopards ne quittant plus des yeux le calfouette du rouleur de mécaniques, les mères se signant, les pères devant reconnaître qu'ils se sentaient soudain dépassés par les événements, si bien que, pour tenter de remettre un peu d'ordre dans la savane, le vieux léopard avait dû demander au kangourou s'il pouvait céder son calbute (il aimait le blanc), alors ce dernier (quel malin, ce roi du triple saut) avait rétorqué qu'il avait besoin du sien mais que, s'ils le désiraient, il pouvait leur en faire faire, mieux même, que, pour satisfaire toutes les demandes (parce que bientôt il y en aurait des milliers), ils devaient construire une usine et des machines et travailler et travailler et travailler pour produire des calcifs comme le sien,... (pas la peine de s'étendre sur ce procédé qu'on connaît bien), qu'il pourrait ensuite leur vendre le produit fini à l'unité ou par lots (des nuits ensuite à créer une monnaie : sur ce coup-là, ce sont les singes qui ont pris le dessus et le contrôle de la banque centrale), qu'ils pourraient ainsi les acheter et que, pour aller plus loin encore, on ne les ferait pas blancs, mais de la couleur de leur pelage (so chic, bondissait le marsupial) mais voilà, alors qu'on était sur le point de trouver un accord, les zèbres ont débarqué en masse, et les lions aussi, puis sont venus les oiseaux, les papillons, les paons, toutes sortes d'animaux tachetés, ocellés, tigrés, qui eux voulaient un slip rappelant leur pelage ou leur plumage mais, malins chez les malins, ceux-là avaient d'emblée souhaité pouvoir se les échanger lors des soirées très private (le paon rêvant d'arborer un slip kangourou, le petit satyre des bois celui du jaguar, etc.), si bien qu'à la fin seuls les léopards (les dindons de la farce) se sont retrouvé avec des barslows unis, sans intérêt, mais fort heureusement (on a choisi une histoire qui se termine bien), la petite d'un léopard, en tombant amoureuse d'un ocelot, donnera naissance quelque temps plus tard à l'élu, au patron : un animal tacheté (il en aura fallu du temps, n'est-ce pas ?) qui deviendra naturellement (après dépeçage) le premier modèle de slip léopard, ce must-have qui détrônera rapidement, et de loin, le slip kangourou, kangourou qui, selon nos sources à sec, aurait disparu du jour au lendemain (on n'est plus à une bizarrerie près) sans demander son reste ni son froc.

Christophe Grossi, 26 juillet 2013


Grand merci à Christophe Grossi
Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.


Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 


Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants

vendredi 7 juin 2013

Les Vases communicants de juin 2013 (22) : Olivier Hodasava

Dans le cadre des vases communicants de juin 2013

Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...

L’aventure du 1er vendredi du mois de juin 2013 est ici ou ici.

J’ai le plaisir d’accueillir Oliver Hodasava

Juste un mot avant que vous ne lisiez le texte qui suit : Merci.



Quand Danielle Masson m’a proposé que nous choisissions comme thème pour ce Vase Communicant de juin une maison située sur l’avenue Félix Géneslay au Mans (au numéro 280 pour être précis), à charge pour elle d’en aborder l’aspect documentaire, à charge pour moi d’inventer une histoire, j’ai trouvé l’idée fantastique. Oui, vraiment. Danielle m’offrait ainsi, pensais-je, un territoire merveilleux pour laisser libre cours à mon imagination.
Et donc. Comme souvent dans pareille situation, très vite (le soir même), pour asseoir ma narration, j’ai cherché à me documenter, sur la ville, et éventuellement le quartier, la rue…
J’ai aussi contacté la seule personne originaire du Mans que je connaissais : un ancien de mes collègues qui vit maintenant en Suisse où il réalise des documentaires pour le compte de télévisions locales.
À cet homme, j’ai envoyé l’adresse, et une capture d’image faite dans Street View. Je voulais savoir si, à tout hasard, il connaissait le quartier et ce qu’il pouvait en dire.
Le lendemain, j’ai reçu la réponse qui suit, qu’il m’a, depuis, autorisé à publier pour peu que je garde son identité secrète et que je reproduis ici, faute d’écrire une fiction, sans en changer une virgule (disons que ma contribution à ce vase Communicant aura été de provoquer cet étonnant hasard) :

Bonsoir Olivier,
Je me suis demandé s’il s’agissait d’une blague (façon caméra cachée) ou d’un incroyable concours de circonstance. Mais vu que je n’ai jamais raconté à personne ce que je m’apprête à t’écrire, je penche évidemment pour la seconde solution.
Et donc, voilà. Il faut, me semble-t-il, que je te parle de ce qu’il m’est arrivé une après-midi d’été, il y a maintenant un bon paquet d’années.
Je devais avoir quatorze ou quinze ans. À l’époque – je sais, ça va paraître difficile à croire – j’étais fou d’aéromodélisme et je passais mon temps à faire des figures avec une réplique d’alouette radiocommandée.
J’habitais alors boulevard de la Fresnellerie qui est tout à côté de ta maison de l’avenue Félix Géneslay. Le quartier était un peu moins construit qu’il ne l’est aujourd’hui et j’avais fait mon terrain de jeu de la rue du Docteur Roux (qui est juste derrière ta maison).
Et donc. C’était l’été. J’étais en vacances. Je faisais voler mon hélico. Et, pour une raison que je ne me suis jamais expliqué, ce jour-là, j’en ai perdu le contrôle.
J’ai suivi tant bien que mal la dérive de l’engin. Je l’ai vu s’échouer sur le rebord d’une fenêtre – je sais, ça va te paraître incroyablement improbable mais c’est comme ça ! – de ta maison du 280 de l’avenue Felix Géneslay. C’était la fenêtre du dernier étage, celle que l’on voit sur la photo que tu m’as envoyée !
Les volets, ce jour-là, n’étaient pas fermés. Par chance, le verre des vitres, sous le choc, ne s’est pas brisé.
Toujours est-il que mon hélico était là, suspendu, les pales coincés entre fenêtre et barres d’appui.
J’ai sonné pour récupérer mon appareil mais personne n’a répondu.
Il devait être seize ou dix-sept heures. La raison, évidemment, aurait voulu que j’attende ou que je revienne ; que je laisse un mot. Mais non, là, comme ça, machinalement, j’ai actionné la poignée du portail. Celui-ci n’était pas verrouillé. Il s’est ouvert.
Je suis entré dans le jardin.
Je suis allé frapper à la porte. Pas un bruit en retour… J’ai pensé escalader la façade. Mais non, c’était impossible.
Je me suis dirigé à tout hasard vers le garage. J’ai découvert que la porte de celui-ci n’était pas fermée. Je suis entré. Oui, je sais : c’était insensé ! À tout instant quelqu’un pouvait arriver. J’en avais conscience. Et pourtant.
Je suis entré dans le garage. J’ai refermé la porte derrière moi.
Au fond à droite, il y avait une autre porte encore, qui menait de toute évidence au hall de la maison. Cette porte, pas plus que les autres n’était close…
Je n’ai pas hésité.
Je me suis dit que j’allais opérer très vite, que deux minutes suffiraient, que je serais très bientôt dehors.
J’ai grimpé l’escalier, avalant les marches deux par deux.
Je me suis retrouvé au dernier étage.
C’était une chambre qu’il y avait là-haut, avec, collé contre un des murs, un lit de 90.
Je suis allé directement à la fenêtre. J’ai eu un mal fou à l’ouvrir (je tremblais de tout mon corps) mais bon, j’y suis arrivé. J’ai pris mon alouette. J’ai refermé.
J’avais déjà descendu un étage quand j’ai entendu claquer le portail. Je me suis figé. Quand j’ai entendu une clé, en bas, dans la serrure, sans réfléchir, je suis remonté dans la chambre. Et comme j’entendais des pas qui montaient, je me suis caché sous le lit, mon hélicoptère serré contre moi.
Mon cœur, tu peux t’en douter, battait la chamade. J’étais terrorisé comme rarement je l’avais été – comme rarement je l’ai été depuis.
Une personne, finalement, est entrée dans la pièce. C’était une jeune femme pour ce que j’en ai vu (des tennis aux pieds, un large revers à son jean). Elle a vaqué. Elle s’est installée un temps à son bureau. Puis elle est venue s’asseoir au bord du lit (ses chevilles en gros plan sous mes yeux).
Sans se déchausser, elle s’est allongée pour feuilleter un magazine – je percevais le bruit des pages qu’elle tournait.
Dehors, ont commencé à tomber de grosses gouttes d’une pluie d’orage. Il y a eu un éclair lointain. Et puis plus rien. La pluie a cessé. La fille n’a plus fait le moindre bruit.
Je n’osais bouger. Je sentais mon corps s’engourdir.
Je ne savais pas quoi faire. J’imaginais que le pire allait bientôt se produire…
Le temps m’a paru long, incroyablement long.
Une grosse demi-heure s’est écoulée avant que, soudain (je n’avais pas entendu le portail), d’autres personnes ne pénètrent dans la maison. Il y a eu des voix, en bas – celle d’un homme, celle d’une femme.
La fille est sortie de sa torpeur (je pense qu’elle s’était endormie). Elle s’est levée. Elle est descendue…
J’ai entendu quelqu’un dire : Vite, dépêche-toi ! On va être en retard. Et la fille est entrée à nouveau dans la pièce pour récupérer quelque chose (je ne sais pas quoi).
Et puis, elle a dévalé l’escalier.
J’ai entendu la porte claquer. J’ai entendu le portail se refermer.
J’ai compté plusieurs fois jusqu’à cent. Devant la persistance du silence, je me suis dit qu’il fallait que je tente une sortie. C’était le moment ou jamais.
Je me suis extirpé de ma cachette.
J’ai jeté un dernier œil à la pièce autour de moi.
Je me suis engagé sur le palier. Je me suis aventuré dans l’escalier. J’ai d’abord progressé sur la pointe des pieds puis de plus en plus vite.
Je me suis retrouvé dans le garage. Là, dans la précipitation,  j’ai failli renverser un pot de peinture.
Je me suis collé à la porte qui donnait sur l’extérieur. J’ai jeté un œil au dehors. Pas un chat.
Alors, j’ai respiré un grand coup et je me suis engagé à découvert.
Voilà.
Je ne suis pas particulièrement fier de ce que j’ai fait ce jour-là. Seulement, c’est arrivé. Comme je te le raconte exactement. Dans cette maison précisément sur laquelle tu dois écrire.
Peut-être ne vas-tu pas me croire – mais pourquoi inventerai-je pareille histoire ? Et puis, tu dois commencer à me connaître, ce n’est pas vraiment mon genre.
Que dire de plus ?
Ça a été la dernière fois, ce jour-là ; que j’ai fait voler mon alouette. Elle doit toujours être quelque part chez mes parents. La prochaine fois que j’y vais, promis, je tâcherai de la retrouver. Et d’en faire une photo. Si ça se trouve, dessus, il y a encore des traces de la peinture de la rambarde contre laquelle elle s’était coincée.
Je t’embrasse.
X.

Grand merci à Olivier Hodasava
Merci également à Brigitte Célérier dont il faut saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.


Et que sont les VASES COMMUNICANTS ?
Emprunté à Pierre Ménard, car pourquoi dire mal ce qui a été si bien dit :

« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire. 


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