Dans
le cadre des vases communicants de mai 2016
Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...
Autour d’une phrase proposée, partagée et mise en
mots.
le livre de Pierre TILMAN – QUESTIONS aux
éditions PLAINE PAGE traîne près de moi, je l’ouvre à la page 15 et lis :
"Avez-vous déjà déchiré une photo ?"
Ce sera le début de notre échange pour le mois de
mai.
Ci-dessous le texte que Sylvie a bien voulu me
confier…
« Avez-vous déjà
déchiré une photo ? »
(P. Tilman, page 15)
Je m’avançais vers le parapet. Depuis l’angle
gauche de l’avenue s’ouvrait un espace simple et tranquille, une rue devenue
piétonne le long de la façade d’un immeuble des années trente dont l’enseigne
liberty annonçait des amusements désormais muets, et un petit carré vert auquel
rien ne manquait l’arbre, la haie de buis, deux rosiers en fleurs, un banc de
calcaire clair que je traversais d’un pas rapide, avant que l’avenue en bord de
mer ne m’arrêtât. Une voiture passa, point blanc sur l’asphalte gris. Une autre
ralentit pour me laisser passer, tandis que j’étais en équilibre sur la longue
double ligne qui séparait les voies.
Je m’avançais vers le parapet. Sur le point de
poser le pied sur le trottoir, après avoir eu un bref geste de remerciement
envers l’automobiliste, alors que mon regard était déjà loin vers l’horizon, la
mer vert-de-gris, le grand nuage de nacre sur la droite qui disait déjà la
pluie, la lumière pâle durcissant la peinture noire des lampions de bronze qui
se détachaient ainsi comme des aiguilles du temps sur cette immense horloge
météorologique, le souffle des embruns enveloppa tout mon corps.
Je m’avançais vers le parapet. La mer vint à moi
avec ses mondes, ses voyages, ses âmes éperdues, ses voiliers, ses bourrasques.
La mer fut un murmure, fut un geste d’amour. Une ivresse des sens. Sans rien
voir d’autre que sa surface étale sous le ciel qui devenait tempête j’entendis
ses voix. Je sentis ses passions, patiences, pénitences, sirènes mythiques
invisibles et voraces. Je reçus ses caresses, maternelles, éternelles. En
silence. La mer vert-de-gris avec le ciel d’orage venait me caresser, là, de
leur souffle de chair, tiède, chargé d’eau, salé. Ils venaient me toucher, ici,
d’un mince tissu de soie qui tourbillonne autour du corps, s’entortille à lui
et s’échappe. J’entrais brusquement dans l’espace, mou, familier, paisible de
leur présence venue à moi. La rencontre de nos souffles comme des êtres qui
s’embrassent.
Je regarde. J’essaie de voir. Revoir.
J’effrite l’image à la recherche du tangible, du
palpable. L’objet que mes doigts triturent n’est qu’une surface lisse et glacée
sur laquelle ont été imprimés mer, ciel d’orage, un long boulevard, de rares
voitures, quelqu’un, là. Je cherche au milieu des morceaux que j’éparpille les
embruns qui se moulent sur les doigts, la respiration du vent salé qui pose son
haleine sur la peau et la parfume, la mer qui par vagues vient vers nous,
s’enroule autour de nos chairs, monte le long de nos jambes dans une caresse
infinie. Je cherche les souffles qui m’embrassent. Je déchire le désir de ne
pouvoir toucher. La photo n’est plus. La photo n’est pas. A-t-elle vraiment
été ?
Il me reste le souffle du ciel et de la mer, et
ce baiser.
Grand merci à Sylvie
Et
que sont les VASES COMMUNICANTS ?
« François Bon Tiers
Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier
d’avoir trouvé ce titre de vases
communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit
sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens
autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a
démarré le 3 juillet
2009 entre les
deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire.
Si vous êtes tentés
par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants…
2 commentaires:
Quelle jolie proposition à deux ! Et nous nous laissons aspirer par le murmure de la mer... merci les Vases co !
Embruns vert-de-gris, marées salantes... caresses d'une photo que l'on croit perdue.
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