Lundi
13 février 2012
Au fil des semaines, je regardais les photos. Des mots ne venaient
pas, des histoires ne commençaient pas et cela ne me convenait pas… pas assez
disponible dans ma tête et de plus en plus je culpabilisais…
À chaque fois, je me disais « allez, accorde-toi une
demi-heure et écris »
Mais je n’y arrivais plus. Pas l’angoisse de la page blanche,
non un je ne sais quoi.
Pourtant, il fallait que cela revienne ce plaisir d’aligner
des mots. Il fallait retrouver ce temps précieux.
Alors je me suis donnée un grand coup de pied aux fesses, je
me suis octroyé un délai de 72 heures, j’ai regardé la neige, le feu dans le
poêle et je me suis intimée l’ordre d’écrire…
Le texte s’appelle : Galerie de portraits et m’a permis
de rattraper tout mon retard.
Toutes les photos sont extraites de la galerie de
©
Kot²
sauf celle du texte 22, qui est de Romaric Cazaux
Vieillir et rester en
vie. Essayer de continuer à vivre.
Vieillir, tout le monde
vieillit mais un jour, ils ont décidé que je ne pouvais plus rester seule. Soi-disant
que je perdais la tête, que je perdais tout, que je n’étais plus la même. Ils
avaient trop peur pour moi, qu’ils disaient. Alors, ils ont dit, redit, insisté :
« Il vous faut quelqu’un nuit et jour ». Là, ils m’ont vouvoyée. Il y
avait mon fils aîné, Yann et sa femme, la Yolande, la grande rousse qu’il a
épousé il y a plus de vingt ans et qu’il trompe… il croit que je ne le sais
pas… mais je vois tout… mes deux petits-enfants Camille et Romuald étaient là
aussi. Il y avait aussi mon autre fils, Emmanuel et sa copine du moment, une certaine
Isabelle de je ne sais plus quoi ou d’où… il aime se donner un genre... Mes
fils, ils n’ont pas osé me le dire donc plus facile de m’envoyer leurs moitiés.
Elles ont pris des gants
pour me dire que je ne pouvais pas rester seule, que ma maison était grande,
trop grande, qu’une pièce pouvait être réservée pour celle ou celui comme je
voudrais qui resterait la nuit, au cas où… pour que je ne sois pas seule.
Pardi, ils voulaient être tranquilles.
Et cette photo où vous
me voyez là, c’est un jeune noir qui l’a faite et me l’a offerte, avec un
sourire que je lui aurais bien donné un billet de 50 €, si j’en avais eu un.
Mais je n’avais jamais d’argent. Allez 10 € c’est tout ce qu’ils me
permettaient. De peur que je le perde, de peur qu’ils en manquent,
voulaient-ils dire.
Car je ne vous ai pas
tout dit, la femme à côté de moi, avec le pain, c’est elle, c’est celle de
jour. La nuit, dans la chambre d’amis, il y a en a une autre qui veille sur
moi. Tu parles, elle dort, je l’entends ronfler. Cinq ans que je suis une
assistée… Cinq ans, depuis qu’il a oublié de se réveiller. Une belle mort pour
lui, mais une mort à petit feu pour moi, en attendant d’aller le rejoindre.
Soixante ans de mariage, un bail !
Vieillir et vouloir
faire encore plein de choses. Impensable, impossible. Combien de fois ai-je
entendu ce mot.
La première qu’ils
avaient choisie, elle n’aimait pas les musées. Donc c’était toujours
impossible. C’était trop loin, il allait falloir faire la queue, il y aurait
trop de monde, je me fatiguerais.
Elle a résisté six mois
et est partie au bout du monde, dans une île sous les cocotiers pour s’occuper
dans un club de vacances d’enfants. Après la vieille, les enfants. J’espère
qu’elle sera plus aimable.
Elle, sur la photo,
presque cinq ans qu’elle tient. Elle tient.
Au début, j’ai été
désagréable… je ne voulais pas de son aide… puis je me suis laissée faire et
petit à petit, nous nous sommes amadouées.
Elle, son prénom c’est
Alice. Je l’aime bien car sans en avoir l’air, elle fait tout ce que je veux.
Et surtout, ils ont confiance en elle. Ils se reposent sur elle, vous savez mes
deux fils et leurs moitiés. La Isabelle de je ne sais plus quoi ou d’où a été
remplacé par une Marie-Charlotte. Quand celui-là me fera-t-il un petit-enfant
pour que les deux de mon aîné ne se croient pas le centre du monde.
C’est dur de vieillir.
Mais je suis ENCORE vivante.
19 - 29
novembre 2011 : Souvenirs de scoute
Je vais vous ouvrir mon
album photo. Des photos que j’ai découpées dans les magazines, d’autres photos
que Pierre, Paul ou Jacques, façon de parler, m’ont données ou que j’ai prises
moi-même, quand j’étais plus jeune.
Venez, je vais vous
parler de celles que je préfère. Mais, rassurez-vous, je vais essayer de ne pas
vous noyer sous les mots. Et ne dites pas « elle va radoter la
vieille ». Non, j’ai toute ma tête. Vous allez voir.
C’est une photo de son
amoureux.
Elle craque, mais il y a
de quoi : un crâne dégarni et ce sac avec le marsupilami. Il a été un de
mes héros de BD préféré… mais ce n’est pas le propos du jour.
Moi, sur mon sac à dos,
il y a très longtemps, il y avait un ours. Il me suivait partout. Cela faisait
sourire mes copines au camp de scouts. Eh oui, j’ai été scoute puis pionnière.
C’était juste avant la dernière guerre, en 1940.
Et mon nom de guerre
était « des fleurs pour Zoé ». Je ne sais plus trop pourquoi.
Mais ne croyez pas que
je me moque du Richard d’Alice. Ils vont très bien ensemble.
Elle avait les yeux
pleins d’admiration quand elle m’a tendu la photo.
Ce Richard est mieux de
dos que de face. Je plaisante !!!
20 – 6
décembre 2011 : Un beau c…
Vous allez croire que je
suis obsédée mais j’adore ce genre de photo.
Un beau c… dans le
métro… ça se remarque et se regarde.
Celle-là, une page
arrachée dans un quelconque magazine qui traînait chez mon cardiologue !
Ce c… si j’avais été
plus jeune, à dévorer… comme les croissants du dimanche que mon défunt mari
allait me chercher chaque semaine. Notre petit plaisir rituel.
Parce que regardez-le.
Il se cambre, il se pavane. Il sait qu’il est beau gosse. Et son
couvre-chef !
Dommage que je ne prenne
plus le métro. Mes deux fils me l’ont interdit.
« Maman, cela
pourrait être dangereux pour vous. Une mauvaise chute. Une bousculade. Une
agression. »
Qu’est-ce qu’ils vont
imaginer. Que je leur obéis. À mon âge !
Heureusement, avec
Alice, une fois par mois, le jeudi après-midi, on se fait une promenade en
métro. Notre escapade mensuelle. Mais jamais on a vu un tel c…
Celui-là, je le nomme
Pierre-Emmanuel. C’est notre petit secret, à moi et à l’inconnu.
Comme j’ai beaucoup
d’imagination, je lui invente sa vie.
21 – 13
décembre 2011 : L’allumeur de réverbères
Je vous propose la 3ème
photo de mon album. Je l’ai retrouvé dernièrement dans la bibliothèque qui
jouxte ma chambre. Une grande maison permet d’avoir ce luxe, une pièce toute
entière réservée aux livres.
Je l’avais offert à mon
mari pour son anniversaire. Je ne savais pas encore que ce serait le dernier
que nous célébrerions.
Cette photo, nous
l’avions prise en 1992, date notée derrière. Mais je ne me souviens plus où.
Juste que nous nous étions promenés dans un grand parc.
J’avais inventé une
histoire d’allumeur de réverbère, de lumière qui scintillait et d’obscurité qui
allait libérer les fantômes du lieu. Je me souviens que nous avions beaucoup
ri. Mais je ne sais plus où c’était.
Sylvianne, la gardienne
de mes nuits a peut-être raison ; parfois, j’oublie… mais ce n’est pas
grave.
Tiens, je vais me
plonger dans l’histoire d’Akira Kumo et de Virginie Latour. Je saurai peut-être
ainsi pourquoi les nuages portent ces drôles de noms. Je vais poser mes yeux
sur les derniers mots lus par celui qui m’a quitté trop tôt.
22 – 20
décembre 2011 : Grégoire, Camille, leurs mains d’or
Abandonnons quelques
instants mon album photo.
J’y tiens comme à la
prunelle de mes yeux.
Quand je partirai, elle
sera pour ma petite fille, Camille. Elle l’a toujours adorée depuis qu’elle a
su parler.
J’avais à peine vingt
ans, quand je l’ai reçue comme premier cadeau offert par celui qui allait
devenir mon mari. Il avait voulu me plaire en peignant un clocher qui n'allait
pas manquer de m’évoquer mon auteur préféré, Proust.
Et je ne sais pas
pourquoi, il avait intitulé ce tableau « Place de Chine ».
Il avait de l’or dans
les doigts, mais jamais il ne fit commerce de son talent. Il offrait ses
œuvres, pour juste le plaisir de donner.
S’il avait voulu, ses
dispositions auraient pu lui ouvrir les portes de nombreuses galeries. Mais il
était trop discret et n’aimait pas être célébré. Longtemps, il essaya de
m’initier à sa passion mais honte à moi. Je préférais le regarder peindre et
écrire des histoires sur ses tableaux. Il faudra que je vous fasse voir mes
cahiers et carnets. Ils sont tous bleus.
Grégoire, mon charmant
époux, a refusé de son vivant qu’une exposition de ses tableaux soit faite.
Depuis, malgré de nombreuses sollicitations, je refuse aussi. Je ne veux pas
trahir sa mémoire.
J’espère que nos fils
feront de même.
Camille a hérité de son
brio. Elle est actuellement aux Beaux-arts, espère devenir restauratrice de
tableaux et consacre beaucoup de temps à ses propres tableaux. Elle prépare d’ailleurs
une exposition pour cette fin d’année. J’en attends avec impatience le
vernissage. Elle a aussi un autre dada, la photographie.
23 – 3
janvier 2012 : désagrégation d’un papillon
N’est-elle pas
magnifique, ma Camille !
Elle attend son
amoureux, Jérôme, qui l’a photographiée, caché un peu plus loin. Ils s’étaient
donné rendez-vous pour aller au cinéma. Il est arrivé une heure avant. Il a
photographié tout et rien, mais surtout elle, qui était arrivée une bonne
demi-heure à l’avance aussi.
Il l’a appelé cette
photo « Désagrégation d’un papillon ». Toujours des titres à
l’emporte-pièce, mais il le peut, maintenant que ses photos commencent à faire
courir du monde, du beau monde dans les expositions que je ne manque pas de
fréquenter. Ils se complètent merveilleusement.
Camille l’attendait sous
la pluie, avec les mitaines et l’écharpe que je lui avais offertes pour son
anniversaire. Vous ne pouvez voir qu’elles sont bleues, de la couleur de ses
yeux, de la couleur des yeux de son grand-père dont elle seule a hérité et qui
lui vont à ravir.
Anxieuse, amoureuse
peureuse, tout elle, en résumé sur cette photo.
Camille attendait son
Jérôme qui a fait ce jour-là plus de cent photos d’elle. J’ai choisi celle-là, elle
y est si vivante.
24 – 10
janvier 2012 : Le coureur de haies
Et
cette photo…
Il
semble en dehors de la vie, son regard tourné vers le sol. Perdu dans ses
pensées, terminant sa nuit, la commençant…
Qui
est-il ?
Cette
cicatrice lui barrant le haut du crâne, m’impressionne et m’interroge. Le résultat
d’une bagarre, d’une chute d’enfant ou le signe d’appartenance à un gang. Mon
imagination s’emballe. Il m’intrigue.
Il
se tient en équilibre dans ce moyen de transport dont j’ignore tout. Écoute-t-il
un air qui le berce, l’envoie ailleurs ?
Que
fait-il cet homme, où va-t-il, d’où vient-il ? Mais surtout qui
est-il ?
Je
lui invente une vie. Je veux qu’il vive la vie d'un athlète de haut niveau qui
visualise sa dernière course de 110 mètres haies. Il décompose les secondes de
course en un millier d’images. Il cherche où il a perdu ce précieux dixième de
seconde… il veut comprendre pourquoi son genou ne s’est pas levé assez haut sur
la quatrième haie. Il revit sa course.
Chut !
Ne pas le déranger !
25 – 17
janvier 2012 : Court-métrage
Cette
photo-là, j’y tiens aussi. D’ailleurs comme toutes celles que je vous montre,
elle fait partie de mes petits trésors.
Mais
cette femme, je ne sais plus qui elle est. J’ai oublié son nom.
®
Alice, son nom à cette belle femme ?
®
Madame, vous ne vous souvenez pas. C’est la dernière amie en
date de votre fils cadet, Marie-Charlotte, celle qui se prend pour une actrice
de cinéma.
J’admire
sa chevelure qui s’échappe de son chapeau. Est-il bien approprié à ce temps
frisquet ?
Le
vent souffle, doublé d’un petit crachin breton même si la place que cette femme
traverse est celle de Notre-Dame de Paris.
Alice
m’a rejointe et se met à parler :
®
Cette photo a été faite lors du tournage du court-métrage,
« Le magasin des suicides » dont, Jérôme, le chéri de Camille a été
le photographe de plateau. Rappelez-vous, nous l’avons regardé hier avec
Camille sur son ordinateur.
C’était
bizarre. On y courrait beaucoup et on y pleurait beaucoup aussi. Il était
question de gargouilles également. Je crois que je n’ai pas tout compris, mais
le principal, j’ai passé du temps avec Camille. En réfléchissant, Camille n’a
qu’une petite dizaine d’années de moins que la chérie en titre de mon deuxième
fils. Celui-là un jour me fera mourir de chagrin.
26 – 24
janvier 2012 : Une moustache se met à table
Cette
photo, je ne sais plus dans quel magazine je l’ai découpée. J’en ai toute une
pile de plus ou moins insolites. J’aime les feuilleter, les classer, les
déclasser. Les couleurs d’un côté, les noir et blanc d’un autre ou alors
suivant l’humeur, les avec personnages d’un côté, les autres d’un autre. Tout
cela suivant mon humeur ou l’air du temps.
J’adore
écrire, il me faut un support pour faire fuser mes idées et tout d’un coup des
bribes de vie naissent. Des personnages prennent corps et je me trouve embarquée
dans des aventures sans queue ni tête.
Une
toute petite réserve : où était posté le photographe ? Je pencherais
pour l’intérieur du café. Mais quelle idée a pu lui traverser l’esprit ?
Peut-être espionnait-il l’homme en terrasse ? Il a de drôles de chaussure,
vous ne trouvez pas.
Et
cet homme grimpé, sur la table – illusion d’optique - que regarde-t-il ?
Peut-être feuillète-t-il le roman de l’été qu’il vient d’acheter ?
Étrange
atmosphère, certainement voulue par le photographe. Photo instantanée ou
sélection au milieu de plusieurs prises en rafale. Aucune idée.
Le
titre du texte que j’aurais envie d’écrire à partir de cette photo :
« une moustache se met à table. »
Allez,
je me lance.
L’homme
à la moustache, que j’appellerai bien Jérémy, tous les jours, vient boire son
jus d’orange. Il choisit toujours la même table, celle…
27 – 31
janvier 2012 : France - Irlande
Une nouvelle photo tirée
de la pile sans personnage. Pourtant, il y en a bien un, derrière cette photo.
Camille m’a raconté l’histoire de ce cliché et l’étrange Sean.
Ils l’avaient rencontré
à leur descente d’avion et il était devenu leur guide dans la ville. Il avait
une passion, les escaliers.
Drôle de coïncidence,
Jérôme aussi. Il aimait les photographier et avait un projet de livre sur ce
sujet en route.
À la suite de Sean, ils
en ont monté et descendu des marches. Camille avait renoncé à les compter. Mais
plus de deux mille à leur actif pendant ce week-end insolite, elle en était
sûre.
Cette photo a été la
dernière de la série, la der des der.
Les reflets d’un
bâtiment dans la vitrine de ce pub pas très net, les reliefs d’une pause
déjeuner ou de la rencontre de trois habitués du lieu : drôle d’ambiance !
Ils étaient entrés tous
les trois dans cet endroit, Camille rassurée par la présence de ses deux
accompagnateurs.
La dernière bière bue
avec Sean, l’échange de leurs coordonnées et je crois que c’est là qu’ils
mirent au point la venue de l’énergumène pour le prochain France – Irlande du
tournoi des 6 nations.
Je ferai enfin sa
connaissance car ils m’en avaient rabattu les oreilles de leur Irlandais, qui,
d’après eux, me plairait beaucoup.
J’attendais avec
impatience le samedi 11 février 2012. Pour mes quatre-vingts ans, j’irais au
Stade de France pour la première fois de ma vie et certainement la dernière, ce
serait mon cadeau d’anniversaire.
Je comptais les jours et
faisais rire Alice à qui je rabattais les oreilles de mes souvenirs de rugby en
lui parlant de Roger Couderc, des frères Spanghero, d’Albaladejo, du grand
Herrero et de bien d’autres. Elle était originaire de Toulouse donc avait
baigné dès son enfance dans ce jeu avec un ballon ovale.
1 commentaire:
Un retard très joliment rattrapé
Antonio
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