Dans le
cadre des vases communicants de juin
2013
Ne pas écrire
pour, mais écrire chez l’autre...
Juste un mot avant que vous ne
lisiez le texte qui suit : Merci.
Quand Danielle Masson m’a proposé que nous choisissions
comme thème pour ce Vase Communicant de juin une maison située sur l’avenue Félix
Géneslay au Mans (au numéro 280 pour être précis), à charge pour elle d’en
aborder l’aspect documentaire, à charge pour moi d’inventer une histoire, j’ai
trouvé l’idée fantastique. Oui, vraiment. Danielle m’offrait ainsi, pensais-je,
un territoire merveilleux pour laisser libre cours à mon imagination.
Et donc. Comme souvent dans pareille situation, très vite
(le soir même), pour asseoir ma narration, j’ai cherché à me documenter, sur la
ville, et éventuellement le quartier, la rue…
J’ai aussi contacté la seule personne originaire du Mans que
je connaissais : un ancien de mes collègues qui vit maintenant en Suisse où il
réalise des documentaires pour le compte de télévisions locales.
À cet homme, j’ai envoyé l’adresse, et une capture d’image
faite dans Street View. Je voulais savoir si, à tout hasard, il connaissait le
quartier et ce qu’il pouvait en dire.
Le lendemain, j’ai reçu la réponse qui suit, qu’il m’a,
depuis, autorisé à publier pour peu que je garde son identité secrète et que je
reproduis ici, faute d’écrire une fiction, sans en changer une
virgule (disons que ma contribution à ce vase Communicant aura été de
provoquer cet étonnant hasard) :
Bonsoir Olivier,
Je me suis demandé
s’il s’agissait d’une blague (façon caméra cachée) ou d’un incroyable concours
de circonstance. Mais vu que je n’ai jamais raconté à personne ce que je
m’apprête à t’écrire, je penche évidemment pour la seconde solution.
Et donc, voilà. Il
faut, me semble-t-il, que je te parle de ce qu’il m’est arrivé une après-midi
d’été, il y a maintenant un bon paquet d’années.
Je devais avoir
quatorze ou quinze ans. À l’époque – je sais, ça va paraître difficile à croire
– j’étais fou d’aéromodélisme et je passais mon temps à faire des figures avec
une réplique d’alouette radiocommandée.
J’habitais alors
boulevard de la Fresnellerie qui est tout à côté de ta maison de l’avenue Félix
Géneslay. Le quartier était un peu moins construit qu’il ne l’est aujourd’hui
et j’avais fait mon terrain de jeu de la rue du Docteur Roux (qui est juste
derrière ta maison).
Et donc. C’était
l’été. J’étais en vacances. Je faisais voler mon hélico. Et, pour une raison
que je ne me suis jamais expliqué, ce jour-là, j’en ai perdu le contrôle.
J’ai suivi tant bien
que mal la dérive de l’engin. Je l’ai vu s’échouer sur le rebord d’une fenêtre
– je sais, ça va te paraître incroyablement improbable mais c’est comme
ça ! – de ta maison du 280 de l’avenue Felix Géneslay. C’était la fenêtre
du dernier étage, celle que l’on voit sur la photo que tu m’as envoyée !
Les volets, ce
jour-là, n’étaient pas fermés. Par chance, le verre des vitres, sous le choc,
ne s’est pas brisé.
Toujours est-il que
mon hélico était là, suspendu, les pales coincés entre fenêtre et barres
d’appui.
J’ai sonné pour
récupérer mon appareil mais personne n’a répondu.
Il devait être seize
ou dix-sept heures. La raison, évidemment, aurait voulu que j’attende ou que je
revienne ; que je laisse un mot. Mais non, là, comme ça, machinalement,
j’ai actionné la poignée du portail. Celui-ci n’était pas verrouillé. Il s’est
ouvert.
Je suis entré dans le
jardin.
Je suis allé frapper à
la porte. Pas un bruit en retour… J’ai pensé escalader la façade. Mais non,
c’était impossible.
Je me suis dirigé à
tout hasard vers le garage. J’ai découvert que la porte de celui-ci n’était pas
fermée. Je suis entré. Oui, je sais : c’était insensé ! À tout
instant quelqu’un pouvait arriver. J’en avais conscience. Et pourtant.
Je suis entré dans le
garage. J’ai refermé la porte derrière moi.
Au fond à droite, il y
avait une autre porte encore, qui menait de toute évidence au hall de la
maison. Cette porte, pas plus que les autres n’était close…
Je n’ai pas hésité.
Je me suis dit que
j’allais opérer très vite, que deux minutes suffiraient, que je serais très
bientôt dehors.
J’ai grimpé
l’escalier, avalant les marches deux par deux.
Je me suis retrouvé au
dernier étage.
C’était une chambre
qu’il y avait là-haut, avec, collé contre un des murs, un lit de 90.
Je suis allé
directement à la fenêtre. J’ai eu un mal fou à l’ouvrir (je tremblais de tout
mon corps) mais bon, j’y suis arrivé. J’ai pris mon alouette. J’ai refermé.
J’avais déjà descendu
un étage quand j’ai entendu claquer le portail. Je me suis figé. Quand j’ai
entendu une clé, en bas, dans la serrure, sans réfléchir, je suis remonté dans
la chambre. Et comme j’entendais des pas qui montaient, je me suis caché sous
le lit, mon hélicoptère serré contre moi.
Mon cœur, tu peux t’en
douter, battait la chamade. J’étais terrorisé comme rarement je l’avais été –
comme rarement je l’ai été depuis.
Une personne,
finalement, est entrée dans la pièce. C’était une jeune femme pour ce que j’en
ai vu (des tennis aux pieds, un large revers à son jean). Elle a vaqué. Elle
s’est installée un temps à son bureau. Puis elle est venue s’asseoir au bord du
lit (ses chevilles en gros plan sous mes yeux).
Sans se déchausser,
elle s’est allongée pour feuilleter un magazine – je percevais le bruit des
pages qu’elle tournait.
Dehors, ont commencé à
tomber de grosses gouttes d’une pluie d’orage. Il y a eu un éclair lointain. Et
puis plus rien. La pluie a cessé. La fille n’a plus fait le moindre bruit.
Je n’osais bouger. Je
sentais mon corps s’engourdir.
Je ne savais pas quoi
faire. J’imaginais que le pire allait bientôt se produire…
Le temps m’a paru
long, incroyablement long.
Une grosse demi-heure
s’est écoulée avant que, soudain (je n’avais pas entendu le portail), d’autres
personnes ne pénètrent dans la maison. Il y a eu des voix, en bas – celle d’un
homme, celle d’une femme.
La fille est sortie de
sa torpeur (je pense qu’elle s’était endormie). Elle s’est levée. Elle est
descendue…
J’ai entendu quelqu’un
dire : Vite, dépêche-toi ! On va être en retard. Et la fille est
entrée à nouveau dans la pièce pour récupérer quelque chose (je ne sais pas
quoi).
Et puis, elle a dévalé
l’escalier.
J’ai entendu la porte
claquer. J’ai entendu le portail se refermer.
J’ai compté plusieurs
fois jusqu’à cent. Devant la persistance du silence, je me suis dit qu’il
fallait que je tente une sortie. C’était le moment ou jamais.
Je me suis extirpé de
ma cachette.
J’ai jeté un dernier
œil à la pièce autour de moi.
Je me suis engagé sur
le palier. Je me suis aventuré dans l’escalier. J’ai d’abord progressé sur la
pointe des pieds puis de plus en plus vite.
Je me suis retrouvé
dans le garage. Là, dans la précipitation,
j’ai failli renverser un pot de peinture.
Je me suis collé à la
porte qui donnait sur l’extérieur. J’ai jeté un œil au dehors. Pas un chat.
Alors, j’ai respiré un
grand coup et je me suis engagé à découvert.
Voilà.
Je ne suis pas
particulièrement fier de ce que j’ai fait ce jour-là. Seulement, c’est arrivé.
Comme je te le raconte exactement. Dans cette maison précisément sur laquelle
tu dois écrire.
Peut-être ne vas-tu
pas me croire – mais pourquoi inventerai-je pareille histoire ? Et puis,
tu dois commencer à me connaître, ce n’est pas vraiment mon genre.
Que dire de
plus ?
Ça a été la dernière
fois, ce jour-là ; que j’ai fait voler mon alouette. Elle doit toujours
être quelque part chez mes parents. La prochaine fois que j’y vais, promis, je
tâcherai de la retrouver. Et d’en faire une photo. Si ça se trouve, dessus, il
y a encore des traces de la peinture de la rambarde contre laquelle elle
s’était coincée.
Je t’embrasse.
X.
Grand merci à Olivier Hodasava
Merci également à Brigitte
Célérier dont il faut saluer la somme de travail
tout au long du mois pour rassembler tous les liens et allez lire ses
impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.
Et que sont les VASES
COMMUNICANTS ?
« François Bon Tiers
Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ
cela s’appelait le Grand dérangement,
pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) :
Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à
chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation
horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire
chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre
les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres
/ open space d’Anne Savelli et Liminaire.
Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes
le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants…
4 commentaires:
@Olivier Hodasava : tsais quoi ? On dirait une histoire vraie... (je blâââgue)
@Danielle Masson (on ne peut guère laisser de message chez OH-c'est comme ça-c'est pas plus mal- ni pire) : tsais quoi ? on dirait une histoire vraie...
PCH
Je me suis laissée prendre avec amusement et curiosité. Un vrai plaisir de lecture. Bravo !
C'est vraiment une chouette idée. Je l'avais déjà rencontrée sur le blog de Dominique Hasselmann.
Bonne journée !
quel dommage que votre texte en août n'ai pas ici sa contrepartie... bon vais sauter les deux
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