Atelier d’écriture de l’été 2015
Proposé par François Bon
Vers le fantastique
05 – le dictionnaire
COCHON
Il n’arrive plus à se souvenir quel âge elle
avait quand c’est arrivé. C’est bizarre, il ne s’en souvenait pas ou plutôt, il
ne voulait pas s’en souvenir ; mais elle, toujours elle lui disait « Raconte-moi
ma première séance ». Oui, la première séance et même l’unique séance car
jamais plus il n’y est retourné avec elle. Elle devait avoir sept ans tout au
plus, l’âge de raison. Donc, oui, cela devait être son cadeau d’anniversaire. S’il
se souvient bien, il avait dû y aller avec la Dauphine, celle de la photo
qu’elle garde toujours dans ses yeux ou son cœur. L’âge de raison mais non,
cela avait un fiasco total. Tous les deux se rappellent le nom « le
Royal », elle, il lui tant de fois raconté qu’elle croit s’en souvenir. C’était
en début d'après-midi, il ne devait pas y avoir de match de basket ce jour-là. Il
devait pleuvoir, oui, c’est cela il devait pleuvoir et il fallait tuer un
dimanche après-midi. Oui tuer le temps en allant dans une salle obscure. Elle
lui avait serré la main très fort en rentrant ; c’était la première fois. La
première fois, la première séance, la première fois qu’elle allait seule avec
lui, autre part qu’à un match de basket ou un combat de boxe ou un match de
foot ou une course de vélo. « Profitez-en », d’une voix douce avait
dit l’autre femme de sa vie. « Cela changera des terrains de sport ».
Profitez. Cela elle s'en rappelle, profitez, elle ne savait pas bien ce que
cela voulait dire à ce moment-là. Maintenant elle associerait cela au mot profiteroles,
elle en est sûre. Mais ne pas s’égarer, essayer de tout revivre. Car elle, dans
son souvenir, il n’y a qu’une image qui la hante encore aujourd’hui. Les lunettes
3D n’existaient pas encore, le cinéma en relief non plus, la Géode non plus
mais là, à cet instant précis, elle hurla. Les cochons allaient sortir de
l’écran et allaient fondre sur elle. Elle hurla ; son cri glaça les
spectateurs. Elle hurla, hurla, hurla. Heureusement ils étaient en bout de
rang, c’est lui qui lui raconta beaucoup plus tard. Il la tira par la main, il
ne savait pas qu’il aurait pu la prendre dans ses bras pour la rassurer. Non,
il la tira, il la tira hors de la salle de cinéma « Le Royal » où il
l’avait emmenée pour passer un après-midi tranquille pour rire aux pitreries de
Jean-Marc Thibault et Roger Pierre dans le film « Les motards ». Elle
ne retourna pas au cinéma avant au moins vingt ans. Lui n’y retourna jamais, il
avait eu tellement honte. Elle a collectionné les chats, les poules mais jamais
les cochons. D’ailleurs, les cochons sauvages le lui rendent bien. Ils
labourent le terrain autour de sa maison depuis des années. Hier, ils ont fait
une razzia dans les courgettes et les tomates.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire