Sur une idée d’Olivia,
Des mots, une histoire 56
Les
mots de Christine,
de
tout là-bas en Chine
« Chronique provinciale »
- « Mr Chapon ! »
La voix tranchante comme une lame vint à troubler le silence
d’apesanteur régnant dans la petite salle d’attente .Seules, le claquement
des pages d’un catalogue de correspondance pour vêtements en tergal, tournées
régulièrement mais toutefois vigoureusement par une élégante main gantée,
donnait le tempo. Sur la table basse, les
Paris Match froissés vers lesquels les regards convergeaient,
affichaient triste mine.
La terreur climatique caniculaire qui avait pris ses quartiers
sur la France en cette année, n’avait pas épargnée notre tranquille petite
commune de Pamiers. Mon regard se porta sur le gribouillage que m’avait
tendrement donné ce matin mon enfant Paul. Le croquis représentait notre chat
paresseux Gaby. Saisissant mon stylo plume, j’annotai au bas de la feuille de
Canson crème : Gabriel au couffin,1962.
Puis, j’appelai : « Monsieur Chapon ! Entrez donc
! Qu’est-ce qui vous amène ?! »
L’homme qui se tenait devant moi m’était bien familier. Sa tache
de vin dentelée sur le front, singulier caroncule, son embonpoint, sa haute
stature, ses petits yeux vifs et
ronds lui donnaient l’allure d’un coq de
basse cour .Depuis des années, sa viande me régale, donnant lieu à de
délicieuses préparations dont seule ma femme détient le secret.
-« Docteur Bateilles, c’est
mon cœur ! »
-« Votre cœur qu’est-ce qu’il a votre cœur ? »
-« Je ne l’entends plus … »
-« Allons donc, vous allez me faire rater le Salon du
Livre ! » fis-je en plaisantant !
Armé de mon stéthoscope, je m’approchais de mon patient inquiet,
allongé et livide. Les coups réguliers et ralentit m’indiquaient 50 pulsations/
minute.
-« Un peu de bradycardie …rien de grave, je vais vous
prescrire un petit roboratif… »
Une fois mon patient sorti, mes doigts vinrent tapoter le rythme
de son cœur sur le bois chaud de mon bureau. Je sens quelque chose m’envahir,
j’ouvre et sors de mon tiroir une multitude de bandes de papiers quadrillées sur
lesquelles figurent de fins tracés irréguliers.
Tous ces rythmes cardiaques me donnent le vertige, je revois mon
enfance où les mains enchevêtrées de ma mère effleurant ou martelant jusqu’à en
saigner les touches de son piano Gaveau me faisaient sangloter. Ma sœur
Mélisande, cloitrée dans sa chambre, hurlait un chant effréné, ne supportant
plus les symphonies déjantées de notre mère hystérique.
« Qu’as-tu Gaston mon chéri ? » me demandait-elle
alors, la tête d’une folle, ses mains suspendues dans les airs au bout de ses
bras d’allumettes….
Mes doigts en grillage devant les yeux pour en amoindrir la
brutale vision, je la regardais, échevelée et révulsée attendant avec hâte que
mon père revienne de son cabinet .Lui, absent toute la journée, ne savait pas
très bien dans ce contexte-là comment orchestrer ces tempêtes, tout homme intériorisé qu’il était.
M’épongeant le front d’un mouchoir de coton fin, je comprends
aujourd’hui que j’entretiens grâce au cœur de mes patients et de leur rythme
une intimité quasi vitale .J’y retrouve le tempo maternel que je cherche à
calmer ou modérer. Je ne supporte plus l’excès, je dois réguler : il me
faut apaiser l’andante, vivifier le lento, accorder tout en adagio.
Et, passant devant le cimetière où repose en paix ma sœur
bien-aimée, longeant les ruelles de Pamiers, qui m’amènent à la mairie où j’officie depuis trois
années maintenant, c’est avec fierté que
je me sens détenir le secret de l’harmonie de cette petite ville entièrement
anesthésiée par mes cachets…
© 2012 – Christine
PS : Pour info, je me suis
inspirée de la commune de Pamiers où est né Gabriel Fauré et je ne sais pas
comment la caroncule m'a amenée là , je crois que c'est un coup de l'andante !
Liste des mots -
Les mots imposés pour Des mots, une histoire, 56 sont
: grillage – chat – andante – apesanteur – caroncule
– chant – contexte – plume – couffin – barbouillages
– croquis – enfant – lame – livre – vertige –
saigner – chapon – climatique – catalogue –
match – roboratif – sangloter – allumettes – mouchoirs
– enfance – préparation – délicieux
5 commentaires:
On aimerait en savoir plus...
Je reviendrais pour une consultation, docteur. ;-) J'aime bien ta façon de placer les mots et l'histoire qui nous absorbe sans qu'on s'en rende compte. :D
Un docteur plus qu'etrange , à la fois mélomane et totalement fou :-) j aime :-)
Une ville anesthésiée par le médecin... Si je me rends à Pamiers j'essaierai de ne pas tomber malade! Excellente idée ce texte!
Il est vrai que l'on s'attend à un peu plus de développement sur cette emprise qu'a ce docteur sur la population. Bel exercice que tu as réalisé là ! Bravo !
Coincoins médicaux !
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