vendredi 16 mars 2012

Désir d'histoires (14) Christine, Atelier 58 - Histoire de Rimma Ryskaïa




Sur une idée d’Olivia,

Des mots, une histoire 58



 Les mots de Christine,
de tout là-bas en Chine




Suite de chez Eiluned, des éditions 43, 44, 46, 47, 48, 50, 55 d’Olivia

IX– Histoire de Rimma Ryskaïa

Rappel : Rimma, prostituée russe échouée à Nice et dont la mort a été commanditée par un ancien PDG -ex proxénète


Lorsqu’il claqua la porte, l’air glacial le surprit telle une gifle cinglante, la main de son père… Putain ! Vivement le printemps ! Et quasi-instantanément, reléguant le printemps à l’état de nature morte, un déluge de pensées plus ou moins confuses vinrent s’abattre sur cette saison calme, souvenir de quelques vers de Victor Hugo, douce saison venue se poser une fraction de seconde plus tôt sur sa blessure paternelle.

La cacophonie migraineuse qui l’anéantissait depuis ces dernières heures et qui ne faiblissait pas tendait dans son esprit un écran de plus en plus opaque, de plus en plus sombre.
Route de Grenoble, il croisa un petit groupe de cyclistes profilés dans leurs ensembles techniques, figure  Big nine, l’armée de l’air sur terre ! Vraiment ! Pédaler sous des températures pareilles ! Bien avant le stade des Arboras, il chercha à se garer, sans mal. Une fois le moteur coupé, il consulta sa Breitling, 13h40, il était en avance. Là depuis l’intérieur de l’habitacle, son regard balaya lentement les alentours : des balcons des immeubles aux fenêtres givrées derrière lesquelles copulaient peut-être des amants épuisés, des trottoirs désertés aux moindres renforcements des portes d’entrée, rien ne lui échappait. L’endroit était d’une extrême solitude. Seuls lui parvenait un grésillement lointain et des aboiements intermittents. Pendant quelques instants, il fut en proie à un désagréable moment d’égarement, une lassitude extrême, à l’envie de remettre le contact et de rentrer immédiatement.
Puis, après avoir jeté un dernier coup d’œil aux alentours, il sortit rapidement, ne claqua pas la portière, et fila droit vers le stade.
Tête baissée et col relevé, il s’engouffra vers les tribunes. Sur la pelouse, quelques gars s’entrainaient.

L’homme qui l’attendait était là. Face de cochon, sourcils en brousse, tremblement spasmodique au coin externe gauche de sa bouche. Ces secousses régulières entraînait quelques modifications non sans extravagance de sa production orale : les syllabes sursautaient, explosaient, les mots trébuchaient. Il s’appelle Louis et la dévotion de Louis  pour son ex -patron est sans limite, un pacte scellé depuis leurs années « russes », une histoire d’accord à la vie à la mort…
La chose extraordinaire avec lui, c’est que si identifiable qu’il soit, ses règlements de compte sont toujours à ce jour des énigmes. Sa signature est invisible, sa facture soignée.

En peu de temps, l’affaire fut conclue.

Regagnant sa voiture, il remarqua avec agacement un prospectus de promotion coincé derrière l’essuie-glace.
« Bûche glacée au chocolat amer » écrit en lettres dorées.
Lorsqu’il releva la tête, il aperçut sur le trottoir d’en face une femme élégante en manteau de fourrure grise.
Au moment même où il s’engouffrait dans sa voiture, il reçu foudroyé son profond regard noir. La seconde suivante elle avait disparu…
« La jettatura ! que la jettatura lui tombe dessus ! »
Cette phrase qui lui revient. Brusquement. De la voix de sa mère ces quelques mots graciés à l’heure des récits du soir et qui pendant  longtemps hantèrent ses nuits gamines.
Une goutte de sueur s’effondre sur le prospectus formant une minuscule virgule entre chocolat et amer, isolant l’adjectif en lettres de feu. Au centre du papier de mauvaise qualité, dansant sous ses yeux, amer vire amen .

Roulant comme un fou, reviennent sans cesse ces souvenirs indissociables de son enfance : les gifles, les sorts et la messe. Bordel ! On ne pouvait donc jamais rien faire sans être rattrapé par la culpabilité familiale !!!


L’édition 58 de Des mots, une histoire a pour récolte ces mots : cacophonie  remplacé par) cochongrésillement - jettaturaaboiement printempscycliste blessure amersignature – mobilisation – promotion traditionbalcon – héroïne – solitude écrantremblement – bredouille – égarement oraldévotion extravagancecopuler lassitude virgulebrousseépuisée
Il y a 28 mots, ce qui veut dire que vous avez le droit d’en mettre un, deux ou trois au choix, de côté.






6 commentaires:

Olivia a dit…

De bien belles images.

wens. a dit…

Je vois que j'ai de la concurrence...des russes en plus , je vais finir par m'opposer à l'ouverture des frontières

Valentyne a dit…

Très juste la derniere phrase:-)

mariessourire a dit…

j'aime beaucoup ton style d'écriture, on se sent porté, on plonge dans l'histoire, et le temps passe si vite qu'on a l'impression d'avoir à peine commencé la lecture que le texte est déjà fini..
merci pour ce beau moment de lecture

belle belle journée!
mille bises
sourire

elcanardo a dit…

L'ambiance est brillamment distillée par un style impeccable. On voit tes personnages, on vit tes scènes, on entrevoit même les flashbacks (mention spéciale pour la gifle/vent)

Coincoins à gages !

ceriat a dit…

Le reflux de la mémoire des souvenirs amers. :D J'adooore ! :D
Je n'ai pas eu le temps de te lire avant, mais j'aime ton style et ça m'aurais manqué. ;-)