Dans le cadre des vases communicants
d’août 2012
Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...
J’ai grand
plaisir à accueillir Christopher Selac
Que vous pouvez
lire ici,
Découvrez son
dernier roman paru, ici,
en vente dans toutes les bonnes librairies…
Un titre d’album
échangé,
Une phrase
en incipit : « Pourquoi habites-tu plus loin qu'à pied ? »
Et l’imagination
s’est mise en route.
Et tout comme
moi, vous ne serez pas déçu…
Laissez-vous
entraîner dans
Le passage, par Christopher Selac
- Pourquoi habites-tu plus loin qu'à pied ? demanda-t-il
lorsqu’elle vint le chercher.
Elle le toisa, pensive, avec son
regard d’adulte. Des raisons par dizaines : sens unique de circulation,
route barrée pour cause de travaux, courses à faire, manifestation sportive,
cérémonie culturelle, prise d’otage, alerte à la bombe, ou simplement envie
d’ailleurs…
- Monte, je vais t’expliquer, lui
répondit-elle finalement, en déverrouillant à distance les portes du cabriolet.
La véritable raison, c’était le
Passage. Trop petit pour comprendre. Même s’il avait pour consigne de passer
par là, le plus court chemin pour rentrer chez lui, mais jamais seul, surtout
jamais seul. Un tunnel sous la quatre voies, quelques marches pour y descendre,
autant pour en remonter, avec entre deux une longue obscurité de béton en
lignes brisées, pour ne pas voir d’une entrée à l’autre, pour ne pas faire de
sa traversée un jeu pour bolides pétaradants à deux roues. Dans le meilleur des
cas, une odeur d’urine qui vous prend à la gorge, un néon sur deux qui
fonctionne, les inscriptions à la bombe sur les parois grises de ce béton qu’il
vaut mieux ne pas lire, et les pires sortes de déchets qui traînent par terre,
à ne surtout pas toucher avec les doigts. Et prier pour ne croiser personne à
certaines heures, surtout quand…
- Attaché ? demanda-t-elle
au petit garçon. Il hocha la tête en guise de réponse.
Le Passage, elle ne le prenait
plus. Depuis longtemps. Le moteur s’éveilla, et avec lui des frissons à travers
tout son corps. Chasser le Passage. Le fuir. Le plus vite et le plus loin
possible. L’accélération les engonça profondément dans leurs sièges, lui avec
le sourire, assis à l’avant, privilège trop rare, elle, les cheveux presque à
l’horizontale, guidant le vent qu’ils fendaient vers le coffre, vers les
souvenirs qu’elle laissait derrière.
- Alors, tu m’expliques ? revint-il
à la charge dès le premier carrefour.
- Je ne fais que ça.
Le feu vert, elle appuya encore
plus fort sur la pédale. Il reconnut la route de la corniche, il sut où ils
allaient. Le soleil essayait tant bien que mal de tenir leur rythme, ils
défilaient devant le paysage qui n’avait d’autre solution pour les ralentir que
de s’enrouler autour de la roche, et plus ils déjouaient ses pièges, plus
l’altitude leur offrait la vision sur le large, sur les reflets de bleu qu’ils
voyaient de trop loin pour les appeler des vagues.
Elle s’arrêta là-haut, après
quelques centaines de mètres sur le petit chemin qui naissait dans l’extérieur
du dernier lacet. Ils connaissaient l’endroit tous les deux, il y avait des
initiales gravés sur presque tous les arbres, presque les mêmes lettres que
celles peintes à la bombe, et pourtant si différentes. Elle l’invita à
s’asseoir à même la roche, au milieu des lichens, avec autour d’eux le concert
des cigales qui couvrait le bruit de la ville en dessous, sous leurs pieds dans
le vide, elle respira fort, un grand coup, et il fit pareil, les yeux qui
flottaient sur la mer posée en horizon devant eux.
- Pourquoi habites-tu plus loin
qu'à pied ? demanda-t-il encore, maintenant qu’ils étaient au calme, maintenant
qu’ils étaient loin.
Parce qu’elle ne pouvait plus
éviter de répondre, elle se lança dans des grandes explications, avec des mots
de grand, des choses compliquées comme « habiter, ce devrait être vivre.
Mais vivre ici, c’est être habité par l’endroit, c’est lui qui vit en nous, un
peu comme en bas, mais à l’envers, tu comprends ? ». Il comprit
qu’elle ne voulait pas en parler, alors qu’il lui aurait suffi de dire qu’en
voiture il fallait aller chercher le pont, celui qui passe sur la quatre voies,
pour pouvoir regagner la résidence, ses tours, et l’autre bout du Passage.
Descendre de la voiture le regard triomphant, comme si on l’avait vaincu en
évitant de le prendre, tout en sachant qu’il sera là encore demain, et que
cette fois-là, ce sera obligé, il faudra l’emprunter.
- En passant par là, ce n’est pas
moi qui l’emprunte, c’est lui qui m’emprunte, pensa-t-il à voix haute. Un peu
plus chaque jour. Comme toi avant, pas vrai ?
Elle ne répondit pas, les yeux
ajoutant des larmes à l’horizon pourtant bien rempli. Le soleil les avait
dépassés depuis longtemps. Comme moi aujourd’hui, pensa-t-elle, comme moi pour
toujours.
Crédit photo :
le-tunnel-qui-fait-peur-quand-on-est-gamin, par Yohann
Legrand
Grand merci à lui.
Et
que sont les VASES COMMUNICANTS ?
« François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont
à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement,
pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases
communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le
blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les
invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas
écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open
space d’Anne Savelli et Liminaire.
Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le
savoir sur le mur du groupe
Facebook des vases communicants, que chacun puisse relayer les autres... »
1 commentaire:
Christopher, toujours, me donne l'envie de me réinscrire Aux vases. Pour jouer avec lui. Mais il faut se préparer : c'est un joueur qui a du style et du savoir-faire !
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