Dans le cadre des vases
communicants de mai 2014, mon 31ème échange de mots,
Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...
Je me
suis plus particulièrement promenée là, au cœur des
échanges de Vases communicants. Que de magnifiques textes !
Merci
également à Brigitte Célérier dont il faut
saluer la somme de travail tout au long du mois pour rassembler tous les liens
et allez lire ses impressions de lecture… un petit bijou chaque mois.
Nous avons échangé des photos, nous devions parler de photos, de
nature…
Mais place aux mots de Julien Boutonnier.
BLONDI
Le 19 avril 1945
Blondi déboula dans une rue
où se dressaient encore quelques façades béantes trouées de flammes. Il y avait
de temps à autre des cris de femme et des rires de soldats russes qui
s’élevaient des gravats. Comme un tank remontait la voie, la chienne se faufila
dans les décombres d’une église. Un orgue d’une taille considérable brûlait
sous des éclats de vitraux.
Sur le parvis, un enfant
accroupi pleurait sur son fusil. Blondi s’avança pour renifler ses doigts. Il y
eut une détonation. La tête du petit soldat fut emportée par le projectile. Le
reste s’avachit mollement.
La chienne tira le corps
frêle par le tissu de l’uniforme, se réfugia sous une poutre. Elle s’allongea
près de l’enfant.
Elle gémissait rarement. Ses
oreilles dressées pivotaient indépendamment d’un côté puis de l’autre.
Une bombe explosa dans la
nuit. Des silhouettes enflammées coururent sur quelques centaines de mètres
puis s’effondrèrent et se consumèrent, longtemps.
Une torche hurlante vint se
briser sur les marches du parvis. Elle attrapa le fusil de l’enfant, le cala
sous son menton et appuya sur la gâchette. Il y eut un bref jet de choses
rouges, d’os et de cerveau, puis la flamme apaisée se recroquevilla sur les
vieilles pierres et crépita sous le ciel étoilé. Parfois les bras, le torse,
bougeaient un peu. On aurait pu croire qu’il y avait encore un peu de vie dans
cette bûche.
Blondi se terra dans sa
cachette, posa son museau sur le ventre tiède du jeune garçon. Son regard aux
aguets scrutait l’obscurité qu’ici et là obscurcissaient des feux isolés. Dans
le ciel un sourd vacarme d’ailes et d’acier n’en finissait plus.
Au jour la chienne tira le
corps de l’enfant parmi les décombres, en prenant appui sur ses pattes avant,
par à-coups. Elle s’engagea dans la rue.
Des soldats russes en faction
cessèrent de parler quand ils virent l’animal qui de sa mâchoire puissante
déplaçait lentement le corps sans tête du poussin hitlérien.
Le ciel vide désormais, la
ville, tout sembla se taire.
Les hommes regardèrent
longtemps le laborieux cheminement du berger allemand. Il y en eut pour pleurer
et frotter leurs yeux crasseux. D’autres retrouvèrent un instant la langue de
leurs mères, sa douceur, son âme.
Blondi atteignit une artère
plus large. Sur le bord elle s’assit et considéra durant de longues heures
l’intense noria des véhicules de guerre qui l’empêchait de traverser.
Le corps de l’enfant, tout à
fait froid dorénavant, reposait à ses pieds.
Les soldats qui saluaient
Blondi ne comprenaient pas au premier coup d’œil que cette masse étendue à côté
du chien était un cadavre d’enfant.
Aussitôt qu’ils identifiaient
le gisant juvénile, son crâne ouvert par le devant, ils baissaient la main,
cessaient de sourire, se taisaient lourdement et gardaient longtemps après les
avoir dépassés la tête tournée vers l’animal et son mort.
Pour beaucoup, cette étrange
scène se fixa dans la mémoire comme un moment de pur crépuscule, comme une
épiphanie de la chute.
Au soir les tanks
disparurent. Des tirs nourris fusaient alentour. Blondi serra entre ses crocs
la veste du petit, à hauteur de ventre, et traversa l’avenue en direction d’un
parc.
Elle se redressait parfois,
guettait un signe dans la désolation qui l’entourait, humait les odeurs des
putréfactions, des canons et des cendres, gémissait un peu, aboyait presque et,
prise d’une impulsion subite abandonnait le cadavre, courait à toute vitesse
dans la nuit, sautait par-dessus les arbres couchés, les haies incendiées, les
machines et les morts.
Mais bientôt elle revenait à
son effort et charriait le bout d’enfant.
Ce fut à l’aube environ qu’un
projectile hasardeux traversa sa poitrine et la frappa en plein cœur. Elle
s’affala sans délai sous un saule pleureur, au bord de l’eau où flottaient
d’étranges troncs d’arbre. Le cadavre épouvantable de l’enfant, niché dans son
flanc, tétait enfin ses mamelles.
Texte :
Julien Boutonnier
Photo
1 : Danielle Masson
Photo
2 : Deutsches Bundesarchiv (German Federal Archive)
Grand merci à Julien.
Et
que sont les VASES COMMUNICANTS ?
« François Bon Tiers
Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir
trouvé ce titre de vases
communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit
sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les
échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens
autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et Liminaire.
Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes
le savoir sur le mur du groupe
Facebook des vases communicants…
4 commentaires:
chienne de guerre !
A quelques heures près, le lis ce texte 80 ans après e 6 mai 1933, où l'Allemagne fut le théâtre d'un pillage général des bibliothèques de prêt et des librairies, avant-dernier acte de la « campagne contre l'esprit non allemand. » Les troupes d'assaut estudiantines se chargent de la collecte et du transport des ouvrages incriminés. À Berlin, les étudiants de la faculté des sports et de l'école vétérinaire prennent d'assaut l'institut de sexologie de Magnus Hirschfeld, situé dans le quartier du jardin zoologique, et pillent une bibliothèque riche de plus de dix mille ouvrages.
Hello mate great bloog
Goodd read
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