dimanche 4 janvier 2015

Une photo, quelques mots (149), le 8.32

 

Sur proposition de Leiloona

 

 

04 janvier 2015


Et voici la photo de cette semaine ! 


© Julien Ribot




Le 8.32

Comme chaque matin, il était seul sur le quai numéro 1 à attendre le 8.32.
De l’autre côté du quai, la cohue, la foule, tout ce qu’il détestait depuis toujours.
Où allaient tous ces gens ? Au travail, en vacances… il ne voulait pas le savoir. Il se sentait mal, oppressé… sa poitrine se serrait, ses jambes tremblaient… ses mains devenaient moites.
Des images de convois s’ébranlant vers les camps de la mort, à chaque fois, tous les jours, se superposaient à la réalité. Tous les jours sans exception. Il entendait des cris…Il se retenait de ne pas boucher ses oreilles.
Il se redressait, ne bougeait pas et attendait, seul, le 8.32.

Comme tous les matins, Olivier Junior, se rendait au chevet de sa grand-mère qui, il le redoutait, vivait ses derniers jours.
Six mois qu’il effectuait le même trajet. Pour rien au monde il n’y aurait renoncé.
Il se devait d’être présent chaque jour auprès d’elle.
Elle lui racontait les histoires, petites et grandes, de sa famille. Elle avait perdu des forces mais aucunement sa tête. Sa mémoire était toujours aussi vive.
Son cerveau allait à cent à l’heure, il se devait de tout consigner. Il lui fallait raconter cette histoire de famille, les secrets de sa famille qu’il découvrait.
Si sa grand-mère n’avait pas parlé, s’il n’était pas venu tous ces derniers jours, cent quatre-vingt jours qu’il l’écoutait, qu’il écrivait, il n’aurait jamais su qui il était vraiment.

Comme chaque matin, il noircissait des pages et des pages.
Que de pleurs retenus, que de rires partagés.
Elle le réparait, lui le vivant, qui avait toujours eu mal sans savoir pourquoi.
Mamy Nany, ne me quitte pas.



7 commentaires:

Stephie a dit…

Dur de voir partir ceux que l'on aime, par petits bouts...

Titine a dit…

Une mémoire sauvée, des souvenirs déchirants mais qu'il ne faut pas oublier.

La cachette à Josette a dit…

Les mamies sont faites pour raconter mais elles sont sur le quai pour un grand départ...dont l'heure va sonner

Anne-Véronique a dit…

ne pas couper le lien, apprendre des anciens, ne pas oublier pour pouvoir raconter. Ecouter d'où l'on vient pour savoir où l'on va. je suis très touchée par ce texte. merci !A

Pierre Forest a dit…

Prendre le train peut être banal, sauf si on l'a pris autrefois pour les camps de la mort. Ce qui est banal pour les uns peut être terriblement difficile pour d'autres. Ton texte nous le rappelle très bien.

Leiloona a dit…

Et lorsque la grand-mère refuse de se livrer, comment fait-on ? :)

Adrienne a dit…

je crois aussi qu'il faut consigner les histoires racontées par les grands-parents, c'est aussi un "devoir de mémoire" ;-)