Dans le cadre des vases
communicants de mars 2015
Ne pas écrire
pour, mais écrire chez l’autre...
L’aventure
du 1er vendredi du mois de mars 2015 est ici.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir
Marie-Christine GRIMARD dont les
mots sont ici.
"Une photo, des mots ou des mots pour une photo."( 2/2)
Un échange de photos et de mots autour du titre, très bien trouvé par Marie-Christine :
Ombres et silhouettes.
Dans l’ombre de
Cézanne
Cette maison lui avait plu d’emblée, il l’avait visitée un
jour où le soleil provençal inondait la façade. Le prix demandé dépassait de beaucoup
ses possibilités mais il s’était débrouillé pour réunir la somme et voilà trois
mois qu’il profitait de cette lumière. Elle avait besoin d’un sérieux
rafraîchissement, mais il n’avait plus les moyens de faire réaliser les
travaux. Qu’à cela ne tienne, il les ferait seul, petit à petit.
Il était revenu dans la région où il passait une partie de
ses vacances durant son enfance. Sa mère qui l’avait élevé seule, ne prenait
jamais de vacances. Elle l’envoyait chez une vieille tante, veuve de guerre,
qui n’avait jamais eu d’enfant et qui le gâtait outrageusement à chaque séjour.
Il en gardait des souvenirs au goût de miel et de lavande. Avant-guerre, elle
tenait une confiserie, et elle ne le laissait «remonter à Paris» sans une
provision de calissons dans ses valises, pour «ne pas manquer de soleil
jusqu’à la Noël ». Il entendait encore son accent chantant, et lorsqu’il
mangeait ses calissons en fermant les yeux, il revoyait immédiatement son
sourire chaleureux et l’éclat plein de bonté de son regard aussi bleu que le
ciel Aixois.
Alors, au vu de cette maison donnant sur la montagne sainte
Victoire, il n’avait pu résister. C’était ce qu’il cherchait sans le savoir
depuis si longtemps. L’occasion de quitter la grisaille parisienne et de
démarrer une nouvelle vie, à l’ombre des Oliviers. Son rêve de s’installer dans
la campagne aixoise et de finir ses jours là où tant d’artistes avaient choisi
d’installer leurs dernières œuvres, allait finalement se réaliser. Il était
peintre à ses heures, mais faute de succès, ses toiles ne décoraient que les
murs de sa maison et de celle de ses amis. Elle était bien finie sa vie passée
derrière un guichet, il pourrait donner enfin libre cours à ses élans créatifs.
Il deviendrait artisan potier, exposerait ses réalisations dans son jardin et
en vendrait peut-être quelques-unes. Peu importe, il ferait enfin quelque chose
qui le rendrait heureux. Se réveiller chaque matin sous ce ciel incomparable,
et admirer la majesté de la montagne Sainte-Victoire en ouvrant ses persiennes,
étaient un luxe qu’il n’aurait jamais osé espérer.
Les villageois l’avaient d’abord regardé avec méfiance, puis
très vite l’avaient accepté malgré ses particularités, en raison de son grand
cœur et de sa gentillesse. Il était toujours prêt à rendre service à ses
voisins, pour tous les papiers et les tracasseries administratives puisqu’il
avait fait ça toute sa vie. Quand il avait parlé de sa tante, dont la
réputation avait traversé les mémoires, il avait définitivement été intégré
comme un enfant du pays, et ils avaient cessé de l’appeler « Le
Fada ».
Son voisin Jacques lui avait proposé deux plans de lauriers
roses, pour garnir les premiers pots qu’il avait vernissés de vert et décorés
de mosaïques ocre et bleues. Il l’avait aidé à les planter et à les installer
sur la terrasse. Depuis ce jour, ils avaient pris l’habitude de faire
ensemble une promenade chaque soir, sur
les sentiers qui couraient à flanc de colline. Jacques, qui n’était plus de la
première jeunesse, appelait cela «faire courir le chien», Titus, un sympathique
bâtard de quinze ans, aux oreilles pendantes et au regard doux, qui débusquait
les lapins pour le plaisir de les voir détaler, assis sur son derrière,
puisqu’il n’avait plus le courage de les suivre. Il lui racontait les histoires
du village et amplifiait les légendes qui couraient dans le voisinage, pour
l’impressionner ou pour le plaisir d’enjoliver son récit.
Un soir, la lumière rasante était si belle, qu’ils
évoquèrent la mémoire de Cézanne. Jacques lui expliqua qu’il parcourait ses
sentiers avec ses carnets et ses pinceaux sous le bras. Il ajouta que parfois,
quand le temps était doux, certains avaient cru apercevoir son grand chapeau et
sa blouse tourner au coin du bois de pins, juste au bout du chemin. Les gens du
village pensaient qu’il avait tant aimé ce pays que son âme ne l’avait pas
quittée et que lorsque la lumière était belle, il venait encore peindre pour
décorer le paradis des artistes.
Il sourit de cette histoire, hocha la tête et la garda dans
un coin de son esprit comme un trésor. En esprit cartésien, il avait toujours
relégué les légendes au rayon des objets perdus, mais son voisin était si
persuasif qu’il avait bien envie de s’imprégner de celles de cette terre ocre
qu’il avait choisie.
En rentrant, il montra à Jacques ses persiennes bleu roi,
qu’il souhaitait repeindre en blanc pour accrocher la lumière. Il lui expliqua
qu’il aurait souhaité être peintre dans ses rêves les plus fous, mais que faute
de talent, il se contenterait de rénover ses huisseries dans un premier temps.
Jacques s’éloigna en plaisantant sur le fait que Cézanne pourrait avoir envie
de venir l’aider mais que pour cela il aurait dû acheter des pots de couleur
plutôt que de blanc.
En se couchant ce soir-là, il ne ferma pas ses persiennes,
voulant profiter des dernières gouttes de lumière en rêvant au peintre qui
l’avait précédé sur ces chemins.
Le lendemain, il fut réveillé par la voix profonde de Titus
qui aboyait à n’en plus finir devant sa terrasse. Il s’était échappé et était
en arrêt devant ses pots de laurier, le poil hérissé sur le dos et les oreilles
pointées. Il sauta du lit et se précipita dehors, au moment où son voisin
arrivait de la rue, en criant le nom de son chien. Ils parvinrent tous les deux en même temps
sur la terrasse et restèrent interdits devant la persienne devant laquelle le
chien était en arrêt. Une silhouette blanche se détachait sur la couleur bleue,
campée sur ses deux pieds, les mains dans les poches, semblant contempler le
sommet de la montagne. Les deux hommes se regardèrent d’un air incrédule,
s’interrogeant du regard sur la provenance de l’ombre peinte.
Il posa les doigts sur le volet, la peinture était encore
fraîche, mais aucune trace de pinceau ni de pot de peinture, ceux qu’il avait
acheté étaient encore intacts.
Quand ils eurent repris leurs esprits, Jacques sourit et lui
dit :
- Il semble que le Maître t’accueille en son
pays ! C’est un grand honneur, j’espère que tu le comprends… »
- Je crois en effet que je ne pouvais rêver plus
bel accueil ! » répondit-il.
En se tournant vers la Montagne Sainte-Victoire qui
habillait ses flancs de rose sous les premiers rayons de l’aube, il
ajouta :
- En l’honneur du Maître, j’ai enfin trouvé
comment baptiser ma maisonnette. Je vais l’appeler :
« Dans
l’ombre de Cézanne ».
Titus aboya joyeusement, pour approuver ce choix. Il se
retourna vers le portillon qui grinça en se fermant tout seul, aboya de nouveau
plus posément, puis suivit les deux hommes qui s’installèrent dans la cuisine
autour d’un café matinal.
Grand merci à Marie-Christine
Car cette silhouette sur la porte a
toute une histoire, n’est-ce pas Noëlle et ses mots voyageurs.
Mais c’était hier… ou avant-hier plutôt.
Et en plus aujourd’hui, la porte n’est
plus attachée à cette fenêtre mais dans le fameux poulailler...
Voir mon texte du mois ici.
Et un grand merci à Angèle Casanova d’avoir
repris le flambeau et dont il faut saluer la somme de travail tout au long du
mois pour rassembler tous les liens et nous gâter par ses enregistrements (je
sais pas seulement les siens… mais cela va être la journée de la femme !!!).
Et que sont
les VASES COMMUNICANTS ?
« François Bon Tiers
Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ
cela s’appelait le Grand dérangement,
pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) :
Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à
chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation
horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire
chez l’autre.
Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre
les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres
/ open space d’Anne Savelli et Liminaire.
Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes
le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants…
4 commentaires:
"Ombre blanche", comme un titre de collection de polars...
Belle histoire qui me fait penser à la si belle chanson de France Gall sur Cézanne.
Merci beaucoup pour cette référence qui me flatte, j'aime beaucoup cette chanson !
très beau FQ
I thoroughly enjoyed this blog, thanks for sharing
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