Sur une idée d’Olivia,
Des mots, une histoire 58
Solitude de l’écrivain à la recherche du bon sujet : ci-dessous
son monologue[1]
intérieur
Ça y est, mon cochon ! Je tiens mon
sujet. Non… au moins mon titre. Pas d’héroïne amère ou épuisée encore en vue.
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L’écrivain,
à la recherche du texte futur, se lève, règle son transistor d’un autre temps
qui n’émettait plus qu’un grésillement, une vraie cacophonie de sons bizarres.
Il va se servir un verre de jus d’orange, revient et se pose devant son
ordinateur, dont l’écran affiche la photo d’un balcon ouvragé, juste avant
une photo prise dans la brousse avec en premier plan un couple de lions
rugissant.
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Bon, pour aujourd’hui, c’est fichu.
Il est déjà 9.30.
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Mais récapitulons ce que seront les trente-deux
jours d’écriture à venir.
Mobilisation de mon être entier, promotion
de mes idées, dévotion entière à mon projet devront être au programme de
l’extravagance de mes idées.
Convocation des ponctuations dont la virgule
dont j’use et abuse pour rendre plus limpide mon texte sans oublier le
point-virgule que j’affectionne particulièrement. Ils sont la signature
reconnaissable de mes textes.
Aucun égarement ne sera permis.
Je ne vais pas revenir bredouille de cette
quête des mots.
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L’écrivain,
à la recherche de son texte futur, prend son agenda, l’ouvre à la journée du
lendemain, jour de l’arrivée du printemps et tend l’oreille attiré par
l’aboiement de son chien dans le jardin. Juste un cycliste qui passait.
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Pour écrire de 7 à 10, mettre le réveil à
5.55.
Puis prendre une douche rapide pour effacer
la lassitude de la nuit.
Me préparer sans tremblement mon petit
déjeuner avec un œuf à la coque.
Préparer un plateau avec jus d’orange et
spéculoos.
Et à 7 heures, je suis fin prêt devant mon
ordinateur.
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L’heure avance.
9.45 s’affiche.
Pour gagner du temps, pour demain créer tout
de suite le dossier sur mon ordinateur avec ce titre, dont je suis si fier.
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L’écrivain,
à la recherche de ce fameux texte futur, frappe le titre, le regarde, se
recule
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Ce titre, quand même, ça va jeter.
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L’écrivain,
à la recherche de son texte futur, le lit à haute voix en détachant chacun des
mots le composant
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« De l’utilité d’avoir toujours du jus
d’orange en cube »
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L’écrivain
le relit, fier de lui, une première fois… cinq fois de suite en changeant de
ton. À l’oral, cela a de la gueule, pense-t-il.
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Donc pendant trente-deux jours, de 7.00 à
10.00, je diois écrire 532 mots sur…
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L’écrivain
se recule, boit un verre de jus d’orange, se lève brusquement
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Ça y est. Je sais ce que je vais écrire.
Comment je vais écrire.
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Le premier chapitre commencera par la phrase
« Est-on assez attentif… »
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Et l’incipit de chacun des autres chapitres
sera une des phrases des premiers de couverture d’Art-Matin numéro 4.
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L’écrivain,
content de lui, de sa trouvaille continue son monologue intérieur.
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Et en plus, je ne prends pas de risque.
Trente-deux histoires plus ou moins longues, quarante-cinq premières pages,
treize de plus qu’il ne me faut.
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L’écrivain,
toujours à la recherche de son texte futur, se rassoit, mange trois gâteaux
et s’apprête à commencer à écrire. Les cloches de l’église toute proche se
mettent à sonner.
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Il va être 10 heures.
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Je dois prendre de bonnes habitudes dès
maintenant.
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Juste un petit quart d’heure de dépassement
aujourd’hui car demain sera le grand jour.
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L’écrivain,
tout guilleret, duplique son premier fichier, en fait trente et un autres
identiques, les renomme.
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Si ce n’est pas de l’organisation cela.
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Bon, je récapitule.
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Un texte fini, bouclé par jour.
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532 mots par texte, pas un de moins, pas un
de plus.
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Obligatoirement, le même personnage
traversera chaque texte.
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Le mot orange sera toujours présent et
surtout
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L’écrivain,
regardant et feuilletant religieusement Art matin numéro 4, continue de
soliloquer.
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Mon déclencheur à portée de main.
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Une phrase incipit de mon histoire par jour.
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Fin prêt pour demain matin, 7 heures.
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Je tape par avance la première phrase de mon
texte :
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« Est-on jamais assez attentif… »
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J’arrête pour aujourd’hui. Je vais partir
marcher.
J’espère qu’aucune jettatura ne sera jetée contre
moi…
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L’édition 58 de Des
mots, une histoire a
pour récolte ces mots : cacophonie – remplacé
par) cochon – grésillement - jettatura – aboiement
– printemps – cycliste – blessure – amer – signature
– mobilisation – promotion – tradition – balcon – héroïne
– solitude – écran – tremblement – bredouille – égarement
– oral – dévotion – extravagance – copuler –
lassitude – virgule – brousse – épuisée
Il y a 28 mots, ce qui veut dire que vous avez le
droit d’en mettre un, deux ou trois au choix, de côté.
[1] Développement d’une tradition
littéraire qu’on peut faire partir de Montaigne – réf. L’apparition du
monologue intérieur en France (Stéphanie Smadja, UFR LAC, Université Paris
Diderot – Paris 7)
6 commentaires:
C'est pire que le travail du bagne...
belle journée ;-)
En voilà une idée originale : nous permettre de suivre le fil de l'inspiration de l'auteur. Quel boulot !!! Allez hop ! Au travail donc !
Coincoins inspirés
comme j'aime ce que tu écris !!
quelle excellente idée as-tu eu là !
le sourire ne m'a pas quitté, et ça fait du bien
belle et douce nuit
mille bises
sourire
Le "trente-deux" est toujours présent ! Il vaut mieux abuser du jus d'orange, par contre en "cubes", brrr ! Courage à l'écrivain !
Ah! L' organisation, les plannings!!! Y' a que ça de vrai !
Ces écrivains, quand même... ;-) J'aime beaucoup ce texte en pointillé. :D
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