Dimanche 9 octobre 2011,
Les différents textes ici
Le cabinet de curiosités
Dans le journal local « La
dépêche du Maximois », est parue ce dimanche 2 octobre 2011, cette
petite annonce :
« Urgent - recherche
l’auteur de la photographie du cabinet de curiosités ci-dessous.
S’adresser à A.B. Chicorée
par courriel à l’adresse abchicoree@toto.fr ou par téléphone au 06.32.32.32.32. Récompense. Urgent ».
Je suis à la terrasse d’un
café en train de rêvasser, de profiter des derniers jours de cet été indien
bien agréable et de boire un café, indigne de ce nom. Je parcours le journal
local et tombe en arrêt devant l’annonce rapportée ci-dessus. Je reste sans
voix et n’en crois pas mes yeux.
Je connais cette photo, c’est
moi qui l’ai prise, il y a maintenant plus de 30 ans. Je m’en souviens comme si
c’était hier.
Je me retrouve projeté dans
une de mes anciennes vies, une de celles que je parcours encore avec plaisir et
dont j’aime encore parler, surtout avec Léa, ma petite-fille, curieuse de tout.
Mais pourquoi, cet A.B.
Chicorée, que je ne connais ni d’Adam, ni d’Ève veut-il retrouver l’auteur de
cette photo, donc moi.
Et cette récompense !
Encore un riche Américain qui se veut ou se dit amateur d‘art. Cela m’intrigue
beaucoup. Une récompense que j’utiliserais pour acheter le nouvel appareil
photo numérique sorti par Nikon. Je me mets à faire des plans sur la comète.
Mais avant d’aller plus loin,
il faut que je rassemble mes souvenirs.
Cette photographie a toute
une histoire dont je vais essayer de recoller les morceaux. Ma faculté à
oublier certains pans de ma vie ne va pas me faciliter le travail. Il faut que
je réfléchisse, que je creuse dans ma mémoire, que je cherche dans mes cahiers
où j’avais pris l’habitude de tout consigner avant d’acheter cet ordinateur, ma
deuxième mémoire.
Retour en arrière, 30 ans sont
passés. Projection dans le passé.
Je revois tout. Je n’ai rien
oublié.
J’espère qu’aucun souvenir
douloureux va remonter à la surface et venir rompre cet équilibre précaire que
j’essaie de reconstruire, jour après jour. Dommage que Léa ne soit pas là, elle
aurait pu tout retranscrire tout de suite.
Je me lance dans cette
exploration de ma mémoire
J’habitais déjà dans ce
village où je viens de terminer ma carrière d’instituteur, plus exactement
professeur des écoles, à l’école maternelle.
Je cherchais ma voix
artistique. Je faisais de la photographie en amateur, mais j’avais déjà gagné
quelques prix dans les concours des villages alentour.
Je savais que je ne gagnerais
pas ma vie avec mes photos, mais je voulais m’exprimer grâce à elles.
Un de mes voisins était un
homme extraordinaire, ingénieux, farfelu, artiste, tout à la fois. Il deviendra
un peintre connu internationalement depuis maintenant deux décennies.
Il m’associa à la création de
ce tableau et je fis, à ce moment-là, mes premières armes de photographe officiel
de ses œuvres.
C’est vrai qu’il trouva un
vrai bric-à-brac dans la remise derrière ma maison. Cette remise d’ailleurs s’adossait
à son atelier, son exact pendant. Heureusement, car il entreprit de vouloir me
faire transporter mes casiers trésor chez lui.
Son bric-à-brac associé au
mien, cela faisait un drôle de bazar à ordonnancer.
Nous nous sommes mis à
essayer de les organiser. Pas simple. Il ne fallait pas que cela s’écroule. Et
cela s’est écroulé plus d’une fois.
Il avait décidé de faire
comme un grand scrabble ou une grille de mots croisés. C’était lui l’artiste
avec un grand A. Les idées ne lui manquaient pas.
Mais
pourquoi cet homme au drôle de patronyme veut en savoir plus sur cette photo ?
Une de mes photos originales ou photo de l’œuvre.
Une sorte de jeu commença
entre nous. Chacun rêvait d’y trouver son compte.
Ma seule condition pour
l’aider et participer, je voulais faire des photos, et encore des photos pour
garder une trace.
Dans ce temps-là, c’était
diapo ou tirage papier. Cela aurait été aujourd’hui, un vrai régal. Des
regrets… non, car cette aventure nous a pris plus de cinq ans… et a été
couronnée par le succès.
Nous entassions,
ordonnancions et il peignait, repeignait et recommençait sans cesse.
Il a fait de nombreux essais,
comme qui dirait, des épreuves d’artiste
Quand je revois cette photo,
cela me revient comme des flashs.
Déjà son nom devait s’insérer
dans ce montage : Jacques Poirier et les autres mots s’ordonnancer autour…
c’était sa marque de fabrique.
Cela a été notre premier travail.
Composer, oui c’est bien le mot… nous avons composé.
Je me souviens…
De la composition de son nom…
14 cases à remplir… Cinq mois cela nous a pris..
Je vous donne juste un petit
aperçu :
des pages de journaux collées
entre elles…
je ne sais plus combien de
feuilles il nous en a fallu
mais admettez qu’il est
harmonieux… ou qu’il l’a parfaitement arrangé et peint.
Puis ensuite un tour dans ma
caisse, accessoires plomberie. J’ai joué du chalumeau et ai casé un robinet. Il
avait fui et provoqué quelques centimètres d’eau dans ma salle de bains. Un bon
recyclage après nombre de serpillères essorées. Et j’ai pu lui imposer le mot
VER. Le V, le missel de grand-mère ouvert avec une image de Sainte Thérèse de
Lisieux. Une façon de rendre hommage à ma grand-mère adorée.
De la ficelle de chanvre
arrangée en U et trois pinceaux… usagés, plats, pointés sur le fond du casier
Et encore un souvenir de
grand-mère, deux grosses bobines de fil… de celui qui lui servait à coudre les
casquettes sur son antique machine à coudre que j’ai encore dans mon bureau, en
souvenir.
Et une grosse bobine de
ficelle qui, à la fin de notre installation, n’avait plus que quelques tours
Tout revient par vague...
Mais
pourquoi cet homme veut-il me rencontrer ?
Et soudain je me rappelle ce mot YEUX…
un couteau tire-bouchon, une paire de jumelles de théâtre (bizarre, sur la
photo, elles sont à l’envers pour faire le E), puis un illustré, un exemplaire
de L’écho de la mode… et la grande paire de ciseaux pour couper les cheveux et parfois
entailler les oreilles.
Et ce S, une ceinture… dont j’ai eu
peur longtemps quand j’étais enfant. Mais rassurez-vous, je n’ai pas été battu
avec.
Notre discussion sans fin
avec ce mot AQUEES, dont je ne me souviens pas le sens. J’ai vite abandonné.
C’était lui l’artiste et le maître d’œuvre de ce qui sera considéré comme un
chef d’œuvre.
Vais-je
me résoudre à composer le numéro indiqué ?
Je me jette à l’eau et
compose le numéro.
Cela sonne, cinq sonneries et
une voix.
-
Jacques Poirier,
plait-il ?
-
Théodule Non…
-
Le vrai, celui du
village de Roc sur Gréez ?
-
Jacques Poirier,
le grand peintre internationalement connu, natif de Roc sur Gréez ?
-
Oui… heureux de
retrouver ta trace, vieux copain
-
Et moi donc
-
….
Et la conversation continua…
s’éternisa….
Mais c’est une autre
histoire.
PS :
consigne légèrement détournée, mais un grand plaisir à écrire…
Peut-être
un peu trop long et je me suis freinée…
J’ai
triché sur les dates pour permettre à mon personnage de rentrer dans cet
univers. Cette œuvre date de 1997 et je l’ai située au début des années 1980
dans mon récit.
Texte écrit
autour de Jacques Poirier - Artnica, 1997 particolare - Washington D.C.,
Collezione Ian M. Cumming
1 commentaire:
J'aime bien ton texte, même si la consigne a été un petit peu tordue au chalumeau :-) et la fin laisse présager encore de belles parties à deux! Bravo!
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