Sur une idée d’Olivia,
Des mots, une histoire 58
de
tout là-bas en Chine
IX– Histoire de Rimma Ryskaïa
Rappel :
Rimma, prostituée russe échouée à Nice et dont la mort a été
commanditée par un ancien PDG -ex proxénète
Lorsqu’il claqua la porte, l’air glacial le surprit telle
une gifle cinglante, la main de son père… Putain ! Vivement le printemps !
Et quasi-instantanément, reléguant le printemps à l’état de nature morte,
un déluge de pensées plus ou moins confuses vinrent s’abattre sur cette saison calme,
souvenir de quelques vers de Victor Hugo, douce saison venue se poser une
fraction de seconde plus tôt sur sa blessure paternelle.
La cacophonie migraineuse qui l’anéantissait depuis ces
dernières heures et qui ne faiblissait pas tendait dans son esprit un écran de
plus en plus opaque, de plus en plus sombre.
Route de Grenoble, il croisa un petit groupe de cyclistes
profilés dans leurs ensembles techniques, figure Big nine, l’armée de l’air sur
terre ! Vraiment ! Pédaler sous des températures pareilles ! Bien
avant le stade des Arboras, il chercha à se garer, sans mal. Une fois le moteur
coupé, il consulta sa Breitling, 13h40, il était en avance. Là depuis
l’intérieur de l’habitacle, son regard balaya lentement les alentours : des
balcons des immeubles aux fenêtres givrées derrière lesquelles copulaient
peut-être des amants épuisés, des trottoirs désertés aux moindres renforcements
des portes d’entrée, rien ne lui échappait. L’endroit était d’une extrême
solitude. Seuls lui parvenait un grésillement lointain et des aboiements
intermittents. Pendant quelques instants, il fut en proie à un désagréable moment
d’égarement, une lassitude extrême, à l’envie de remettre le contact et de
rentrer immédiatement.
Puis, après avoir jeté un dernier coup d’œil aux alentours,
il sortit rapidement, ne claqua pas la portière, et fila droit vers le stade.
Tête baissée et col relevé, il s’engouffra vers les
tribunes. Sur la pelouse, quelques gars s’entrainaient.
L’homme qui l’attendait était là. Face de cochon, sourcils
en brousse, tremblement spasmodique au coin externe gauche de sa bouche. Ces secousses
régulières entraînait quelques modifications non sans extravagance de sa
production orale : les syllabes sursautaient, explosaient, les mots
trébuchaient. Il s’appelle Louis et la dévotion de Louis pour son ex -patron
est sans limite, un pacte scellé depuis leurs années « russes », une
histoire d’accord à la vie à la mort…
La chose extraordinaire avec lui, c’est que si identifiable
qu’il soit, ses règlements de compte sont toujours à ce jour des énigmes. Sa
signature est invisible, sa facture soignée.
En peu de temps, l’affaire fut conclue.
Regagnant sa voiture, il remarqua avec agacement un
prospectus de promotion coincé derrière l’essuie-glace.
« Bûche glacée au chocolat amer » écrit en
lettres dorées.
Lorsqu’il releva la tête, il aperçut sur le trottoir d’en
face une femme élégante en manteau de fourrure grise.
Au moment même où il s’engouffrait dans sa voiture, il reçu
foudroyé son profond regard noir. La seconde suivante elle avait disparu…
« La jettatura ! que la jettatura lui tombe
dessus ! »
Cette phrase qui lui revient. Brusquement. De la voix de sa
mère ces quelques mots graciés à l’heure des récits du soir et qui pendant longtemps hantèrent ses nuits gamines.
Une goutte de sueur s’effondre sur le prospectus formant
une minuscule virgule entre chocolat et amer, isolant l’adjectif en lettres de
feu. Au centre du papier de mauvaise qualité, dansant sous ses yeux, amer vire
amen .
Roulant comme un fou, reviennent sans cesse ces souvenirs
indissociables de son enfance : les gifles, les sorts et la messe. Bordel !
On ne pouvait donc jamais rien faire sans être rattrapé par la culpabilité
familiale !!!
L’édition
58 de Des mots, une histoire a pour récolte ces mots : cacophonie
– remplacé par)
cochon – grésillement - jettatura – aboiement –
printemps – cycliste – blessure – amer – signature
– mobilisation – promotion – tradition – balcon – héroïne
– solitude – écran – tremblement – bredouille – égarement
– oral – dévotion – extravagance – copuler –
lassitude – virgule – brousse – épuisée
Il y
a 28 mots, ce qui veut dire que vous avez le droit d’en mettre un, deux ou
trois au choix, de côté.
6 commentaires:
De bien belles images.
Je vois que j'ai de la concurrence...des russes en plus , je vais finir par m'opposer à l'ouverture des frontières
Très juste la derniere phrase:-)
j'aime beaucoup ton style d'écriture, on se sent porté, on plonge dans l'histoire, et le temps passe si vite qu'on a l'impression d'avoir à peine commencé la lecture que le texte est déjà fini..
merci pour ce beau moment de lecture
belle belle journée!
mille bises
sourire
L'ambiance est brillamment distillée par un style impeccable. On voit tes personnages, on vit tes scènes, on entrevoit même les flashbacks (mention spéciale pour la gifle/vent)
Coincoins à gages !
Le reflux de la mémoire des souvenirs amers. :D J'adooore ! :D
Je n'ai pas eu le temps de te lire avant, mais j'aime ton style et ça m'aurais manqué. ;-)
Enregistrer un commentaire