C'est ici.
15 ans après…
Jeudi
1er mai de l’année 2014.
Moi,
Goran le Mut vient de garer ma voyante voiture de location au début de la trop
longue ligne droite qui avait perdu les platanes qui la bordaient.
J’aurais
aimé pouvoir lui crier « Attention, vous allez trop vite » mais je ne
savais pas encore que c’était la voiture de mon père qui filait dans un de ces
platanes du côté gauche de la route.
J’aurais
aimé lui avoir crié qu’il fallait qu’il aille moins vite, que nous l’aimions.
Mais
je perds les pédales ; c’est au jeune homme que j’étais il y a tout juste
quinze ans que je dois m’adresser. Quoi, il se bouche les oreilles, il ne veut
rien savoir. Qu’est-ce que j’entends qu’il se reproche de ne pas lui avoir
assez dit de « je t’aime, papa », pas assez dit de « je
t’admire, papa ». Pas assez avoir écouté ses recommandations, pas assez
avoir souri de ses mauvaises blagues, quand cela faisait cent fois qu’il
racontait la même.
C’est
ça qu’il me souffle le gamin que j’étais, celui que j’aperçois les jambes
coupées assis sur le bas-côté, avec son bouquet de trois roses rouges qu’il est
en train de regarder et de répéter sans arrêt, c’était pour les 43 ans de
Maman. Papa, tu as oublié que c’était aujourd’hui son anniversaire à ta Juliet.
Il n’a pas fait attention, Papa ; c’est que je me suis dit à cet
instant-là.
D’ailleurs
qu’est-ce que j’en ai fait de mon bouquet. Aujourd’hui, c’est moi qui
l’apporte. Depuis quinze ans, c’est le fleuriste du village qui vient déposer
les fleurs, toujours les mêmes, dans le vase en granit du columbarium, Secteur
Z, case 24, là où reposent les cendres de son père.
T’as
l’air bien emprunté aujourd’hui car là va falloir lui dire quelque chose. Je ne
vais pas mettre le bouquet à la va-vite, toi le gamin de 15 ans tu m’aideras. C’est
toi qui a des choses à te faire pardonner, pas moi.
S’ensuit
un dialogue de sourds entre moi aujourd’hui, l’homme que je suis devenu, et
celui que j’étais le jour où la vie s’est arrêtée pour lui. 45 ans, beaucoup
trop tôt.
Mais,
je sais des choses maintenant.
C’est
pour cela que je viens te demander pardon, papa ; tu as voulu nous épargner
ta déchéance que le crabe aurait provoquée mais je ne le savais pas.
Je
me demande s’il n’y avait pas des petites choses qui auraient dues attirer mon
attention
Mais
le vélo, le lycée eh ! Le gamin, tu
oublies les filles…
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