Pour faire suite au texte de ce dimanche d’Asphodèle
ci-joint un texte écrit en décembre 2008
à l’invitation de Sylvie Combe, L’écrit plume à Toulon
dans le cadre d'un travail conduit par Jean-Claude Grosse
(texte paru page 119 du livre)
L'affaire
Gabrielle Russier, 40 ans après
Les
contraires et visions croisées
Un ange passa…
Mon passé se dissout
Je fais place au
silence
Paul Éluard
Je suis un des murs de la cellule qui abrita les jours de détention
de Gabrielle Russier.
Je me souviens et pourtant, parfois, j’aurai tant voulu ne
pas entendre, ne pas voir. J’aurais tant voulu m’écrouler pour lui ouvrir le
chemin de la liberté.
Je suis sûr que les fissures que vous pouvez voir encore
mes pierres sont dues à ses cris, qui venaient de je ne sais où. Elle hurlait
en silence, elle pleurait en silence, elle ne mangeait plus.
Elle était devenue une ombre.
Peut être que dans un autre monde, elle aurait pu me
traverser et serait partie le rejoindre.
Un jour, on la poussa dans cette pièce.
Pièce, réduit, prison, lieu d ‘incarcération, enfer, porte
de la mort.
Trois mètres sur trois… et encore, je ne sais plus. Imaginez.
Elle m’a touché,
Elle m’a griffé,
Elle m’a frappé
Elle s’est écroulée contre moi,
Elle s’est adossée à moi
Et je ne pouvais rien faire
Je ne savais pas pourquoi elle était là.
Donc, il a fallu que je tende l’oreille.
Je voulais savoir.
Pleins de questions à lui poser. Mais elle ne répondait
pas.
Elle pleurait en silence
Elle criait en silence
Elle écrivait en silence
Elle pensait en silence
Elle mourrait en silence.
Petit à petit, les langues se délièrent.
Qui m’en parla en premier ?
Le gendarme qui l’amena à la prison des femmes des
Baumettes. Il était gauche, se dandinait d’un pied sur l’autre et s’appuya
contre moi. De nombreuses pensées s’agitaient dans sa tête. Il ne savait pas
qui elle était. Mais elle avait l’air d’avoir de l’importance. Il y avait eu
des journalistes, des photographes à son arrivée.
Il refusait de savoir.
Une de plus ou de moins qu’il conduisait aux Baumettes.
Elles étaient toutes innocentes, elles le disaient toutes, elles n’avaient rien
fait.
Plus tard, il apprit la triste fin de l’histoire en lisant
le journal. Il reconnut son visage de jeune femme perdue dans ce monde. Elle
avait été là parce qu’elle aimait le métèque.
Mais fallait-il croire les journaux ? les journaux
disaient qu’elle avait tort : cela ne se faisait pas.
Il n’y pensa plus. Il oublia.
Mais quinze ans plus tard…
Sa fille lui en parla, lui demandant s’il avait croisé Gabrielle
Russier dans l’exercice de sa fonction.
Il éluda la question.
….
Tiens, une voix féminine, celle de la gardienne qui lui
déposait ses repas : elle avait un cœur, elle compatissait, ne comprenait
pas, ne condamnait pas mais ne s’émouvait pas. Les autres détenues se jetaient
sur la nourriture. Elle, elle ne mangeait pas.
Combien de fois l’ai-je entendu maugréer.
Mais Gabrielle, vous permettez que je vous appelle ainsi…
J’avais fini par savoir votre nom…
J’aurais du être votre chat, vous savez celui que vous
avez pris la peine d’aller déposer chez votre voisine ce trop triste matin du 1er
septembre 1969.
Ce matin où vous avez choisi de partir car c’était trop
dur de ne plus pouvoir enseigner, de ne plus l’entendre vous appeler
« Qatino », trop dur de ne plus pouvoir aimer au grand jour.
Vous avez choisi de « mourir d’aimer ».
Mon futur se lève,
j’hurle.
Je suis un autre mur de la cellule qui abrita les jours de
détention de Gabrielle Russier.
Encore une qui va venir graver sur moi qu’elle est
innocente.
Une erreur qu’elle soit là…
Elle grave un prénom : Christian et jour après jour
creusent les lettres. Elle en se rend pas compte qu’elle me blesse, que je
saigne.
Encore une qui va me taper dessus avec sa tête, jusqu’à
s’en étourdir et s’affaler en mon soubassement.
Encore une qui va m’agonir d’injures alors que je n’y suis
pour rien.
Et vlan ! je me prends son assiette, elle me gratte
encore avec sa fourchette : un peu de respect.
Elle ne croit pas que je vais m’écrouler pour lui ouvrir
les voies de la liberté : 200 ans que je suis debout. Ce n’est pas, elle,
ce petit bout de femme qui viendra à bout de moi.
Elle marche de long en large, s’écroule, se relève,
repart, compte ses pas, compte les carreaux, ne lève même plus la tête vers le
trou de lumière.
Je l’entends marmonner, elle me prend la tête.
Je voudrais me boucher les oreilles. Elle m’épuise. Sa
litanie est e plus en plus lancinante, ses mots de plus en plus lourds de sens.
Seul moment de répit pour moi, quand la fatigue, la
terrasse, quand elle se pelotonne sur la couche pour pleurer silencieusement.
Mais je l’entends quand même. Elle me saoule.
Elle croit qu’elle va pouvoir m’émouvoir…
Et bien non. 200 ans que j’entends des cris et si rarement
des rires.
Je n’en peux plus des plaintes des occupantes de ma pièce,
de mon lieu.
Elles arrivent, survivent, repartent.
Je suis toujours là.
J’en aurais des choses à raconter…
3 commentaires:
Je me souviens de cette"affaire"...
Belle soirée.
Je ne le trouve pas compatissant ce mur mais quel beau texte, je peux mettre ton lien dans mon billet d'aujourd'hui ? Merci de me répondre par mail car on peut pas s'abonner aux commentaires sur Blogger ! Comme ça je le mets de suite ! J'aime beaucoup...et je ne savais pas que Les Baumettes avaient 200 ans !
Je suis ensuite allée sur le net lire son histoire : quelle terrible fin. Ton texte met très bien en valeur toute cette douleur. Je dirai que les murs ont bien des oreilles et la parole
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