dimanche 30 octobre 2011

Pour Asphodèle, 42 ans trop tard... Gabrielle Russier


Pour faire suite au texte de ce dimanche d’Asphodèle

ci-joint un texte écrit en décembre 2008

à l’invitation de Sylvie Combe, L’écrit plume à Toulon

dans le cadre d'un travail conduit par Jean-Claude Grosse (texte paru page 119 du livre)

L'affaire Gabrielle Russier, 40 ans après

Les contraires et visions croisées

Un ange passa…

Mon passé se dissout
Je fais place au silence
Paul Éluard

Je suis un des murs de la cellule qui abrita les jours de détention de Gabrielle Russier.
Je me souviens et pourtant, parfois, j’aurai tant voulu ne pas entendre, ne pas voir. J’aurais tant voulu m’écrouler pour lui ouvrir le chemin de la liberté.
Je suis sûr que les fissures que vous pouvez voir encore mes pierres sont dues à ses cris, qui venaient de je ne sais où. Elle hurlait en silence, elle pleurait en silence, elle ne mangeait plus.
Elle était devenue une ombre.
Peut être que dans un autre monde, elle aurait pu me traverser et serait partie le rejoindre.

Un jour, on la poussa dans cette pièce.
Pièce, réduit, prison, lieu d ‘incarcération, enfer, porte de la mort.
Trois mètres sur trois… et encore, je ne sais plus. Imaginez.

Elle m’a touché,
Elle m’a griffé,
Elle m’a frappé
Elle s’est écroulée contre moi,
Elle s’est adossée à moi
Et je ne pouvais rien faire
Je ne savais pas pourquoi elle était là.
Donc, il a fallu que je tende l’oreille.
Je voulais savoir.
Pleins de questions à lui poser. Mais elle ne répondait pas.

Elle pleurait en silence
Elle criait en silence
Elle écrivait en silence
Elle pensait en silence
Elle mourrait en silence.

Petit à petit, les langues se délièrent.
Qui m’en parla en premier ?

Le gendarme qui l’amena à la prison des femmes des Baumettes. Il était gauche, se dandinait d’un pied sur l’autre et s’appuya contre moi. De nombreuses pensées s’agitaient dans sa tête. Il ne savait pas qui elle était. Mais elle avait l’air d’avoir de l’importance. Il y avait eu des journalistes, des photographes à son arrivée.
Il refusait de savoir.
Une de plus ou de moins qu’il conduisait aux Baumettes. Elles étaient toutes innocentes, elles le disaient toutes, elles n’avaient rien fait.
Plus tard, il apprit la triste fin de l’histoire en lisant le journal. Il reconnut son visage de jeune femme perdue dans ce monde. Elle avait été là parce qu’elle aimait le métèque.
Mais fallait-il croire les journaux ? les journaux disaient qu’elle avait tort : cela ne se faisait pas.

Il n’y pensa plus. Il oublia.

Mais quinze ans plus tard…
Sa fille lui en parla, lui demandant s’il avait croisé Gabrielle Russier dans l’exercice de sa fonction.

Il éluda la question.

….

Tiens, une voix féminine, celle de la gardienne qui lui déposait ses repas : elle avait un cœur, elle compatissait, ne comprenait pas, ne condamnait pas mais ne s’émouvait pas. Les autres détenues se jetaient sur la nourriture. Elle, elle ne mangeait pas.
Combien de fois l’ai-je entendu maugréer.

Mais Gabrielle, vous permettez que je vous appelle ainsi…

J’avais fini par savoir votre nom…

J’aurais du être votre chat, vous savez celui que vous avez pris la peine d’aller déposer chez votre voisine ce trop triste matin du 1er septembre 1969.
Ce matin où vous avez choisi de partir car c’était trop dur de ne plus pouvoir enseigner, de ne plus l’entendre vous appeler « Qatino », trop dur de ne plus pouvoir aimer au grand jour.

Vous avez choisi de « mourir d’aimer ».




Mon futur se lève, j’hurle.

Je suis un autre mur de la cellule qui abrita les jours de détention de Gabrielle Russier.

Encore une qui va venir graver sur moi qu’elle est innocente.
Une erreur qu’elle soit là…
Elle grave un prénom : Christian et jour après jour creusent les lettres. Elle en se rend pas compte qu’elle me blesse, que je saigne.
Encore une qui va me taper dessus avec sa tête, jusqu’à s’en étourdir et s’affaler en mon soubassement.
Encore une qui va m’agonir d’injures alors que je n’y suis pour rien.

Et vlan ! je me prends son assiette, elle me gratte encore avec sa fourchette : un peu de respect.

Elle ne croit pas que je vais m’écrouler pour lui ouvrir les voies de la liberté : 200 ans que je suis debout. Ce n’est pas, elle, ce petit bout de femme qui viendra à bout de moi.

Elle marche de long en large, s’écroule, se relève, repart, compte ses pas, compte les carreaux, ne lève même plus la tête vers le trou de lumière.

Je l’entends marmonner, elle me prend la tête.
Je voudrais me boucher les oreilles. Elle m’épuise. Sa litanie est e plus en plus lancinante, ses mots de plus en plus lourds de sens.
Seul moment de répit pour moi, quand la fatigue, la terrasse, quand elle se pelotonne sur la couche pour pleurer silencieusement.
Mais je l’entends quand même. Elle me saoule.

Elle croit qu’elle va pouvoir m’émouvoir…
Et bien non. 200 ans que j’entends des cris et si rarement des rires.

Je n’en peux plus des plaintes des occupantes de ma pièce, de mon lieu.
Elles arrivent, survivent, repartent.

Je suis toujours là.
J’en aurais des choses à raconter…




3 commentaires:

patriarch a dit…

Je me souviens de cette"affaire"...

Belle soirée.

Asphodèle a dit…

Je ne le trouve pas compatissant ce mur mais quel beau texte, je peux mettre ton lien dans mon billet d'aujourd'hui ? Merci de me répondre par mail car on peut pas s'abonner aux commentaires sur Blogger ! Comme ça je le mets de suite ! J'aime beaucoup...et je ne savais pas que Les Baumettes avaient 200 ans !

Valentyne a dit…

Je suis ensuite allée sur le net lire son histoire : quelle terrible fin. Ton texte met très bien en valeur toute cette douleur. Je dirai que les murs ont bien des oreilles et la parole