LES PLUMES DE L’ANNÉE 10 – mots en J !
Les mots de Christine,
de tout là-bas en Chine
Au Parfait Café.
C’était un jeudi.
Comme tous les jeudis soirs, la petite troupe était partie rendre justice à la nuit.
Attablés au « Parfait Café », ils allaient encore jaspiner et s’en mettre plein le gosier jusqu’à l’aurore, mater les nanas, des fois qu’il en passerait quelque- unes parce qu’ici, à Saleilles, des petites, y’en avait pas à la pelle…
« Gros Bras » glissa un jeton dans le juke-box, la trompette de Charlie Parker emplit le bistrot aux murs tapissés de cartons de loto, d’équipes sportives inconnues. Sur la droite, une affiche de ciné, « Loulou », Huppert et sa jupe rouge, Depardieu en cuir noir sur fond bleu. Une étagère et quelques trophées, aussi, un jeu de Jokari un peu moisi.
Les mots se déchaînaient, de leurs bouches déformées sortaient des phrases bizarres, involontaire janotisme donnant lieu à des rires encore plus gros, encore plus gras.
Quand un client entrait, apportant avec lui l’air frais du début de l’hiver, la fumée se dissipait : l’instant d’un éclair, on apercevait alors la pierre de jade de « Je m’appelle Fatigue », translucide et pâle sur son torse tatoué. « Lui, fallait pas le chercher, un drôle de passé qu’il avait », voilà ce qu’il se disait le patron derrière son comptoir.
Un œil sur l’écran, 2-0 pour Bordeaux, un œil sur les 10 gars qui venaient chaque semaine se mettre minables à la même table.
Ouais, les aimait bien, ces petits. « Tiens, il en manque un ce soir…Doit-être au trou…pas bon tout ça … ».
« Pas la peine de demander, sont plus en état de me répondre…. »
Comme à chaque fois que les heures avançaient, l’euphorie retombait, les jérémiades et les jalousies remontaient, se posaient sur la table, se jetaient à la gueule.
Comme à chaque fois, le Tchèque s’emportait, tapait du poing, envoyait balader les cannettes, se dressait d’un bond, agitait son cran d’arrêt et le regard noyé, s’affalait aussi sec sur sa chaise.
Comme à chaque fois, les autres le calmaient, avec leurs gestes maladroits et leurs paroles hachées.
Puis le silence se fera, ils resteront tous comme ça, prostrés, chacun perdu dans ses mauvais souvenirs, leur haleine amère ira embrasser la peau plus très blanche d’Isabelle H.
Aussi gris que le petit matin, ils vont sortir. Encore un jeudi de fini, un jeudi à jouir de la liberté, avant de recommencer à subir injures, humiliations, et entraînement, si dur…
Il les regarde s’éloigner, ces gars pour qui la légion est l’unique jalon, ces gars que la vie a détruits. Mais quand-même, ce soir il en manque un, et ça, ça ne lui dit rien de bon, au patron.
La troupe ne rigole plus.
Au centre du dortoir, se balançant dans le vide, flanqué de son éternel pull jacquard, « La Tête » s’est pendu. Le petit jour se pointe par la lucarne, frayant à la poussière qui s’agrippe aux mailles du chandail un chemin rectiligne.
Le sang cogne dans les tempes.
Tous sont là, gênés, ils n’ont pas été tendres avec lui, le trop juvénile, le trop fragile.
Gênés d’avoir si souvent raillé son élocution. Savait pas prononcer les « d », mettait des « s » à la place. On peut dire qu’ils l’avaient pas lâché, à tout instant, ils le traquaient…
Gênés, l’entendront plus jamais dire :
« Oui, mon azjusant ! »
Merde alors !
Signé ©Christine
Et voici ce qu’a donné la collecte des mots en J aujourd’hui, les 20 mots qu’il vous faudra placer dans votre texte…:
Jusant – jaspiner – juron – jubiler – jacquard – joyeuse – juke-box – jade – jalousie – jokari* – jour – justice – juvénile – jeudi – jouir – jalon – jamais – janotisme – jérémiade – jupe.
7 commentaires:
La chute est à la fois terriblement dramatique et si drôle
Je suis né dans une ville de garnison, et ton récit me fait au café pas loin de chez nous "Chez Prosper, tout de suite près des remparts... Ce n'étaient pas des légionnaires mais des cuirassiers "Tank". C'était souvent la lutte après trop boire... De plus le boxon n'était pas bien loin....
Bon dimanche.
Texte dur où la dérision s'en mêle, très réussi ! Cet univers de militaires en goguette, avec leurs drames et leur bêtise parfois est vraiment admirablement restitué ! J'aime beaucoup l'azjusant... :)
Azjusant, fallait oser. Mais ton histoire en demi-teintes m'a serré les tripes.
finalement je vais pas m'engager, moi!
ça fout des frissons les histoires de légionnaires dépressifs, mais quel texte !
Un texte magnifiquement bien mené !
Un texte prenant et dur, mais réaliste. :-)
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