les autres textes, ici
Une route étroite pour y arriver
Des voitures le long de la rue principale
Un immense parking en contrebas les attend
Une cloche en fonte couleur rouille
Un café à l’enseigne bleue
Sa terrasse à la vigne-vierge déjà aux couleurs d’automne
L’affiche de la résidence de Frédéric Forte
Un portail qui ne peut plus s’ouvrir depuis des lustres
Une place avec l’ombre de ses platanes
Les jeux de boules
Deux grands escaliers de pierre
Une boulangerie
Une ruelle aux marches larges et peu hautes
Une autre et encore une autre
Un filet d‘eau qui coule
Des grosses pierres en guise de banc
Des maisons hautes perchées et belles, belles
Une chapelle habitée tout en haut, son toit dans le ciel
Une remorque pour ramasser le raisin
Un panneau attention vendanges
Une porte ouverte sur un mur
Je découvre un
village inconnu, Cabrières d’Aigues,
posé au pied du Lubéron.
les discussions sans fin des
chefs de famille sous les platanes
quelque trois cents citoyens qui
habitent ici
Cucuron n’est qu’à 5 kilomètres
la Motte d’Aigues à 3
Vaugines à 7 kilomètres
On y va en charrette, parfois à
vélo et le plus souvent à pied
Les colporteurs rapportent les
nouvelles
Leurs dernières nouveautés dans
leur grande hotte ou sur le dos de leur âne.
Ils racontent que maintenant il y
a l’électricité dans les autres villages
L’allumeur de réverbères n’a plus
beaucoup de travail.
En 1929, Cabrières, c’est
Les discussions sans fin sous le saule
pleureur planté en contrebas du village.
Quand les hommes finissent les
travaux
des champs
ou dans les parcelles d’oliviers ou
les fruitiers
ou dans les vignes,
Ils se retrouvent à midi ou en
soirée quand l’été est là.
Les femmes,
après avoir lavé et rincé le
linge au lavoir,
après avoir médit sur le compte
de celle qui n’est pas venue aujourd’hui,
les rejoignent avec leur panier
rempli de victuailles
Les enfants jouent sous leur surveillance
le ruisseau coule.
en 1929, Cabrières, c’est
les discussions sans fin
Au sujet de l’électricité qui va
arriver dans la commune.
en 1929, Cabrières, c’est
Mathias
Des réverbères, il est l’as.
Il nous
dit :
« Je ne peux pas.
Je ne peux pas croire.
Je ne peux pas croire cela.
Je ne peux pas croire cela, que
je ne vais plus parcourir les rues.
Je ne peux pas croire cela, que
je ne vais plus parcourir les rues chaque soir.
Je ne peux pas croire cela, que
vous allez me priver des quelques sous que je gagnais.
Je ne peux pas croire que je
n’allumerais plus les réverbères des rues de Cabrières.
Je ne peux pas croire cela, que
je ne veillerais plus sur vous le soir.
Je ne peux pas croire que cette
lumière jaillira toute seule, tous les soirs.
Je ne peux pas croire cela
moi, Mathias,
Je vais devenir le premier sans-emploi de Cabrières. »
et nous avons été témoins de cette scène :
-
Mathias. Qu'est-ce que tout ce
charivari que tu me fais ?
-
…
-
Tu comprends qu’on ne peut pas
rester à l’écart du progrès…
-
…
-
Arrête de te dandiner comme cela. Tu
n’es plus sur les bancs de l’école, je ne suis plus ton instituteur ! il
faut vivre avec son temps.
-
…
-
Montre-toi raisonnable. Tu ne vas
pas rester enchaîner à la grille devant la porte de la mairie-école. Tu parles
d’un exemple pour ton fils.
-
…
-
Mathias, je ne vais pas quand même
pas faire intervenir les gendarmes.
-
Monsieur le
Maire, je gagnais quelques sous pour nourrir mon fils. Vous savez bien qu’il
n’a plus que moi.
-
Je sais bien que ta Clairette n’est
plus là, mais tu trouveras bien autre chose à faire pour compléter ton pécule.
-
Monsieur le
Maire, je veillais sur la commune quand je faisais ma tournée. Petit Louis
venait avec moi.
-
Il faut que la commune soit
électrifiée comme les autres. On ne va pas traiter les cabriérains d’attardés.
Déjà que tous les autres autour l’ont, on va être les derniers.
-
Et moi,
Monsieur le Maire, qu’est-ce que je deviens ?
-
Comment cela qu’est-ce que tu
deviens, tu restes Mathias, le journalier.
-
On m’aimait
bien dans le village. On savait que je faisais ma tournée le soir des
réverbères.
-
On continuera à t’aimer Mathias avec
ton petit. Et si je te proposais de devenir garde-champêtre quand le Pierre va
arrêter.
-
Mais il est
increvable le Pierre… vous voyez bien que votre électricité va tout pervertir.
Auquel j’ai
pris plaisir à participer avec huit autres écrivants,
J’ai construit le personnage de Mathias,
mon Mathias contemporain de tous ces autres personnages crées par
les autres participants.
Le mot pervertir m’a semblé approprié pour
terminer mon texte.
Le mot pervertir dans son sens troubler
l’ordre des choses.
Car Mathias
voit sa vie chamboulée…
6 commentaires:
je n'ai que quelques mots devant une telle investigation doublée d'un texte émouvant : que tu sois en lice pour gagner ! Bravo ! J'aime quand l'Histoire s'en mêle...
très bon texte sur un village qui m'est complétement inconnu....
Bonne journée. Bises
Ton texte est vraiment très beau, avec en toile de fond l'arrivée du progrès, et tous les chamboulements dans la vie de ceux qui "faisaient", avant... On pourrait dire la même chose de la disparition des lavoirs, que tu évoques d'ailleurs, ou d'autres "institutions" qui produisaient du "Lien social". Est-ce pour autant qu'on doit regretter le passé ? Diaboliser le progrès et le présent ? Ce sont des interrogations que j'ai. Ce que je vois, c'est que sans le progrès, de telles rencontres par blogs interposés seraient impossibles... C'est que le progrès a aussi du bon...
Il est magnifique ce texte. Et on peut se demander effectivement combien de gens le progrès laisse derrière lui...
Ton histoire sur les progrès et ses conséquences parfois néfastes est très bien écrite
Merci de vos encouragements... maintenant il faut que Mathias vive... et raconte son histoire... une autre paire de manches
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