mercredi 10 août 2011

Inédit (1), Madame Brisesec, racontée par Georgette


La mort de Madame.

Une petite précision : je m’appelle OKAMESS et je vais vous traduire en mots tout ce que, Georgette, la cuisinière-gouvernante de Madame de Brisesec va exprimer en gestes. L’inverse de ce que vous pourriez avoir déjà croisé et vécu jusqu’alors.

Comme vous venez ainsi de le découvrir, Georgette est muette, mais ni sourde ni aveugle. Elle a une mémoire d’éléphant. Elle est la mémoire de cette demeure.

En effet,
30 ans qu’elle est au service de Madame de Brisesec.
30 ans qu’elle sert en silence, mais pas avec les yeux dans sa poche.

Une allure de petite souris, un éternel tablier changé deux fois par jour, parfois trois quand Madame reçoit, un sourire toujours sur les lèvres, des yeux rieurs.

Georgette est heureuse dans cette belle demeure, la seule qu’elle n’ait jamais connue.

Qui ferait attention à la muette comme l’a surnommé le fils de Madame ?
Il faut dire qu’elle est née dans cette maison, sa mère étant la gouvernante de Madame. Elle n’a jamais connu d’homme dans la vie de sa mère et n’a jamais connu son père. Tout naturellement, elle a pris la succession de sa mère quand celle-ci a été emportée par une crise cardiaque à à peine cinquante ans, le lendemain du décès de Monsieur.

Mais laissons la parole à Georgette :

30 ans que je sers Madame.
J’en ai vu des gens aller et venir dans cette maison. Que de naissances et de décès, que de joies et de drames, que de sourires et de larmes, que de femmes et d’hommes apparaissant et disparaissant suivant l’humeur de Madame.
30 ans que je vois, que j’écoute, mais surtout que je me tais.
30 ans que je dois supporter ses sautes d’humeur et d’ailleurs pas que les siennes.
On m’a toujours fait comprendre que je devais rester à ma place, rien qu’à ma place. Ne rien raconter au dehors, muette comme une tombe – très facile dans ma situation – et dans la maison, passer inaperçue.
30 ans que je respire le même air que Madame, mais attention tout cela en silence, mais détrompez-vous, pas un silence muré, un silence joyeux.
30 ans pendant lesquels j’ai appris ce qu’elle aimait, ce qu’elle détestait. Ce que ses proches aimaient, détestaient. Que dis-je quarante ans car j’ai toujours été en cuisine. Enfant, j’y aidais déjà ma mère.

D’ailleurs où ai-je mis mon cahier bleu, celui de cette année. J’en ai une belle collection ; celui-ci est le trente-deuxième. Heureusement que Madame ignore tout cela. Tous les secrets de cette demeure, de ses habitants, de ses courtisans, toutes les intrigues racontées au jour le jour. « La muette » est au courant de tout.

Le fils de Madame a découvert mon secret quand un jour il a forcé la porte de ma chambre. J’ai quinze ans, lui dix ans de plus. Je ne l’ai pas entendu rentrer dans ce qui était mon domaine, dans cette chambre sous les toits, dans ce petit paradis que je m’étais aménagé. Même ma mère respectait ce lieu. Mais lui, c’est ce jour-là tout permis.
Tout d’un coup « la muette » comme il m’appelait, il ne la regarda plus comme la petite sœur qu’il n’avait jamais eue. Tout un coup, il s’était aperçu que « la muette » avait grandi et se transformait au fil des jours. La sauvageonne muait. La muette était différente des donzelles que la mère lui présentait ou des étudiantes qu’il fréquentait à la faculté de droit. Ses chères études de droit pour faire comme papa.
Son souhait aurait été de rester au domaine et de s’en occuper. D’ailleurs, son père ne les avait-il pas abandonnées quand il avait rencontré celle qui deviendrait Madame. Il avait repris la gestion du domaine que la famille de Madame possédait.
Le fils de Madame me découvrit, plongé dans l’écriture de mon cahier. Je me rappelle, il avait une couverture jaune. Il s’en empara et plongea ainsi dans mes pensées. De ce jour, il me regarda différemment.

Mais revenons à Madame.
Elle semble au plus mal. La maison est envahie ; ils sentent la fin prochaine et ils veulent être tous là. Je dois veiller à tout. Que tout se passe au mieux pour tous ces gens qui sont juste intéressés.
Heureusement qu’Iris, le jardinier est là pour me seconder. Son potager est plein de merveilles.


Une rumeur vient de traverser la maison de fond en comble : Madame de Brisesec est morte cette nuit.


Huit heures. La maison est en effervescence. Les lève-tard habituels sont déjà dans la cuisine. Deux cafetières, trois théières ont été englouties.
Chacun regarde l'autre en chine de faïence, chacun jette des regards de-ci de-là, chacun s’interroge. Personne n’ose parler, poser de questions. Personne n’ose évoquer les différents incidents de la nuit comme les échanges de paroles aigres-douces, des portes qui claquent et surtout les aboiements à la mort du chien de Madame.


Retour en arrière :
À six heures pile, comme chaque matin, Lili la confidente de Madame a frappé à sa porte, est entrée dans la chambre, a ouvert les lourds rideaux, a repoussé les volets. Nous avions pris ensemble notre premier café de la journée juste avant sa montée de l’escalier vers Madame. Tout cela sans présager de la suite des événements.

Revenons à hier soir :
20 heures. Madame semblait mieux aller. Le notaire, en la quittant, m’avait demandé de lui faire monter un plateau. Je lui avais préparé son menu préféré quand elle dînait seule dans sa chambre : un bouillon de poule et ses vermicelles alphabet, une compote de pommes sucrée à la cannelle avec deux spéculos. Après une journée pleine d’agitation, cela lui irait bien. Édith, son infirmière, lui a apporté son plateau, l’a installée confortablement en la calant avec deux oreillers, lui a donné son somnifère et lui a souhaité bonne nuit. Comme d’habitude.
Ce matin, le plateau était de retour dans la cuisine. Qui l’avait descendu ? Pas de réponse à cette première question.

Six heures dix. Je me rappelle parfaitement de l’heure. Lili est arrivée en trombe dans ma cuisine, s’est laissée tomber sur une chaise et s’est effondrée en sanglots. J’ai cru lire sur ses lèvres « Madame est morte ! ».
Que faire ?

Grâce à mon téléphone dernier cri, j’ai pu envoyer un message au docteur Tinange, le vieux médecin de la famille. Il a tout connu dans cette maison, deuils, naissances, maladies …
J’ai écrit alors : « Madame est morte. Venir d’urgence ». Lili continuait de sangloter et d’ânonner sans fin « Madame est morte ! ».

Moins d’un quart plus tard, le docteur Tinange, ni rasé, ni coiffé, fit une arrivée bruyante qui ne tarda pas à réveiller toute la maisonnée. Il grimpa l’escalier quatre à quatre, resta à peine dix minutes dans la chambre, redescendit l’escalier et déclara : « J'appelle les gendarmes » et il disparut. J’ai alors supposé qu’il allait monter la garde devant la porte de Madame.

Lili ne se remettait toujours pas de ses émotions. D’habitude, nous nous comprenions par gestes, une certaine connivence s’était faite entre nous.

Mais maintenant, elle ne me regardait pas.






1 commentaire:

Asphodèle a dit…

C'est une nouvelle saga ? En tout cas, j'aime beaucoup ! Très roman naturaliste je trouve, les personnages sont bien campés et criants de vérité, l'atmosphère aussi est palpable ! Bravo ! Je repasserai pour Alan, je n'ai déjà plus le temps, rooh ! :)