vendredi 26 août 2011

Inédit (3), Les voix de l'arbre


Les voix de l'arbre

-       Moi, moi, c'est moi le plus beau, le plus fort.
-  Certainement pas, c'est moi le plus beau car je symbolise le printemps, le renouveau.
-       Faux, c'est moi car je suis l'arbre cardinal, l'arbre référence.
-       Et puis quoi encore, arrêter de vous battre, c'est moi le plus ancien, je suis le vénérable.

-     Silence ! quelle cacophonie !! hurla Merlin qui n'en pouvait plus de sa forêt qui tout d'un coup bruissait de mots et non plus des murmures des feuilles.

Merlin ne supportait plus ces hurlements, ces querelles.
Il voulait arrêter le temps et il le figea.

Il était 8 heures 40 à l'horloge de l'atelier
Et tout s'arrêta.

-      Dix minutes de silence pour que vous repreniez vos esprits et pour que vous vous présentiez tour à tour.

Le carillon
Je suis né avec le siècle dernier et j'en ai habité des maisons mais je n'ai appartenu qu'à une seule famille. La maison, dont je me souviens le plus, fut longtemps la dernière sur la grande route. La maison était toute en longueur. Pour aller dans une pièce, obligation de passer de pièce en pièce ou alors passer par l'extérieur était possible, qu'il pleuve ou qu'il vente. Je trônais face à la porte de la pièce principale.
Je n'étais pas bien grand. Attendez, je me souviens de mes mensurations : 80 par 40 par 20.
Imaginez-moi. J'avais un balancier tout rutilant. Mes chiffres étaient noirs et romains.
Pour compliquer la tâche de tous les enfants qui m'ont admiré, mon artisan créateur n'avait pris la peine d'écrire que quatre nombres 12, 3, 6 et 9 et en plus, comme je vous l'ai déjà précisé, le tout ecrit en chiffres romaines, XII, III, VI et IX.
Imaginez leur détresse quand ils me regardaient.
Impossible de repérer facilement l'heure du goûter. Trop compliqué.



Je me souviens de mon enfance dans une forêt bretonne. J'y étais orme.  Puis un jour, je fus coupé et alla passer mon  adolescence  en tant que planche dans l'atelier d'un menuisier, près de Châteaubriant.
Tout d'un coup, l'artisan décida de me scier en planches plus petites et de m'assembler. Il me mesura, me coupa; me scia, me tailla, me rabota, me ponça. Puis il m'assembla. Aïe me transperça de chevilles de bois. Il me dessina des encoches, des creux, des pleins qu'il emboîta avec un maillet de bois. Heureusement qu'il l'avait entouré d'un vieux linge. Cela m'évita bleus et meurtrissures. Quand je lui ai semblé enfin parfait, bon, presque parfait, il me confia à son ami l'horloger.

Juste quelques pas à faire. Et je me trouvais paré d'un cadran dit "romain" qui cachait tout un mécanisme qui jamais plus ne s'arrêta et me cassa les oreilles jusqu'à… mais là c'est une autre histoire. Deux aiguilles noires me furent offertes et une clé très précieuse. J'allais oublier; on m'ajouta également un balancier.
Et une nouvelle vie commença dans la dernière maison construite le long de la grande route. Et un jour, il fallut la débarrasser cette maison….


?
Moi, je suis arrivé dans un gros camion, trois jours enfermé dans le noir car mon petit maître n'avait pas voulu se séparer de moi. Donc, il avait fallu que je fasse bonne figure et accepte tous les soubresauts de la route et surtout me fasse brinqueballer pendant huit cents kilomètres et le tout, rappelez-vous dans le noir.

Ouf, ca y est. Je vois de nouveau le jour et je ne reconnais pas du tout le paysage. J'avais oublié que je venais de traverser la France d'est en ouest; mais, le principal, je retrouvais Jean.

En soulevant mon pupitre, il retrouva cahiers, carnets et crayons de couleur et surtout son livre préféré "le petit prince".

Il ne lui restait plus qu'à remplir mon encrier de cette belle encre mauve pour que je revive. On m'avait trouvé une place juste devant la fenêtre et les rayons de soleil ne tardèrent pas à me réchauffer. Cela me fit du bien après ces trois jours passés dans le camion de déménagement qui m'emporta de Reims au Mans en 1934.

Ne me demandez pas qui j'étais avant. Je ne me souviens plus; je sais seulement que j'étais un chêne. Mais de quelle forêt, je ne sais plus. Quel menuisier m'a créé, quelles mains m'ont patiné, je ne sais plus. Ce que je sais, c'était la maman de Jean qui m'avait trouvé un peu poussiéreux au fond d'un atelier et n'avait pu résister. Elle m'avait voulu pour son Jean.

Ce fut ma renaissance à la vie qui me vit me trimballer d'une chambre d'enfant, à un recoin dans une chambre d'amis, à un grenier puis à une cave puis enfin de retour dans une chambre d'enfant. Là, la fille de Jean y cacha ses cahiers dans mon ventre. Elle y grava le prénom de son premier amoureux. Il s'appelait Alain, était blond et lui construisait de merveilleux châteaux de sable dans la cour de l'école maternelle. Elle me garda toujours dans la chambre de son enfance. Elle me rendait visite quand elle y retournait.

Pendant cette période, que de fois je fus passé à la paille de verre, encaustiqué. J'aimais bien, je sentais bon et je brillais. Ouvert, fermé, claqué, que de trésors ai-je abrité. Mais parfois je restais de longs mois à ressasser mes souvenirs et à me couvrir de poussière.

Un jour, la porte s'ouvrit. Une petite voix dit : "je le veux. C'est mon bureau".

La première petite-fille des habitants de cette maison hérita ainsi de moi et m'emporta de maison en maison.

Je repartis pour une nouvelle aventure dans une nouvelle chambre d'enfant...

Les années passèrent tranquilles et un jour, encore un camion, encore des kilomètres.

Là, on me posa dessus un carton et j'entendis ces paroles : "Attention. Calez le bien. Il m'est précieux."




Moi, le bureau et lui, le carillon, nous lui étions précieux. Nous partions l'accompagner dans une nouvelle vie
Mais
Des indélicats nous oublieront au fond du camion.



Quinze jours plus tard, quand elle arriva dans la nouvelle maison, elle nous chercha mais elle ne nous trouva pas parmi les nombreux cartons, meubles qui avaient été déposés pendant son absence. Elle continua à nous chercher, elle ne nous trouva pas mais elle espérait que nous étions cachés parmi tout ce qu'il y avait à ranger.



Elle nous oublia mais en garda, à tout jamais, une blessure

Qui s'ouvre
quand, dans une maison, elle entend un carillon
ou
quand, dans une brocante, elle encontre un des mes anciens copains de classe.



4 commentaires:

patriarch a dit…

j'ai toujours eu en horreur ces engins, qui font du bruit tous les quart-d'heure et encore plus aux heures... Belle journée.

Marc de Metz a dit…

Ravi de découvrir que tu prêtes, toi aussi et avec ton très beau talent, vie aux objets. J’aime aussi le faire et j’avoue que cela me touche beaucoup. Le dialogue des arbres est subtil et je les entends parler grâce à toi. @micalement, Marc de Metz. Bonne journée.

Miss So a dit…

Je trouve ça super bien écrit,c'est super de faire parler les objets comme tu le fais, bravo !!!

Lystig a dit…

trop beau le bureau...